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pas de celui de Calderon, lequel, en effet, n’a pu commencer d’écrire pour le théâtre qu’à peine deux ou trois ans avant P. Corneille. Expliquons, si l’on le veut, par l’imitation de ce même théâtre, et quoique je sois prêt pour ma part à en fournir une tout autre explication, le développement et la fortune de la tragi-comédie entre 1610 et 1640. Et, à l’exception de l’Illusion comique, s’il semble bien que les premières comédies de Corneille, — La Veuve, La Suivante, La Galerie du palais, etc., — ne doivent rien à l’Espagne, supposons cependant que sa première rencontre avec le théâtre espagnol ait été pour lui ce qu’on appelle une révélation. La question est de savoir ce qu’il a tiré de cette révélation.

On ne saurait sans doute s’autoriser de Polyeucte ou de Théodore pour prétendre qu’il ait eu, deux fois au moins dans sa carrière, l’idée de mêler l’un à l’autre, comme le font constamment Calderon ou Lope de Vega, le romanesque et la religion. Il a traité, dans Polyeucte et dans Théodore, deux sujets religieux, mais il les a traités en historien du christianisme naissant, si je puis ainsi dire, et non pas du tout, comme Calderon et Lope de Vega, en imitateur des mœurs ou des idées de son temps. Excellent chrétien, qui ne s’est distrait du théâtre qu’en traduisant en vers l’Imitation de Jésus-Christ, — et en beaux vers, quoique d’ailleurs ils ne nous rendent rien, ou presque rien de l’accent de l’original, — Corneille, s’il n’est pas janséniste, est cependant de ces Français qui, pendant tout un demi-siècle, de 1610 à 1660, ont travaillé consciencieusement à séparer la religion, à la distinguer, et comme à l’isoler de tout ce qui n’est pas elle. Je dis qu’il y a « travaillé ; » et, en effet, quand on considère le nombre des livres de dévotion qu’on a fait passer alors de l’espagnol en français, on se rend compte que l’un des caractères du mouvement religieux en France, au XVIIe siècle, a été sa résistance à l’invasion d’un catholicisme méridional, dont la forme, superstitieuse et passionnée, semble avoir offusqué la lucidité raisonneuse de l’esprit français. Si les Provinciales, 1656-1657, sont le témoignage le plus éloquent de cette résistance, on en retrouve un peu partout des traces. Elle sont manifestes, à notre avis, dans la manière dont Corneille a traité le sujet de Polyeucte ; et le lecteur n’aura pas de peine à s’en apercevoir qui se donnera le plaisir de comparer la « couleur » de Polyeucte, avec celle du Prince constant.