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dit-il de Corneille, à quelque nationalité qu’ils appartiennent, quels que soient leur âge et leur position sociale, ne veulent que parce qu’ils veulent vouloir, parce qu’ils trouvent plaisir à démontrer le pouvoir terrible de leur volonté. » Je ne dis pas le contraire, et même je crois reconnaître ici sous la plume du critique hongrois une opinion que j’ai plusieurs fois exprimée. J’accorde aussi à M. G. Huszär qu’il y ait plus d’artifice logique, dans cette conception ou dans cette représentation de la volonté, que d’observation de la vérité. Mais il faut distinguer ! Il y a toute une partie de l’œuvre de Corneille qu’on tenterait inutilement de sauver de l’oubli, et dont la connaissance ne nous sert qu’à mieux étudier dans ses propres déformations la nature de son génie. Mais le vrai Corneille, celui qu’il s’agit de comparer avec les Calderon et les Lope de Vega, c’est le Corneille de son « midi » comme disait Boileau ; c’est le Corneille de ses dix ou douze ans de pleine maturité, l’auteur de ses chefs-d’œuvre, — depuis Le Cid, 1637, jusqu’à Don Sanche, 1650, et Nicomêde, 1651 ; — celui-là seul, si l’on veut être juste, et non pas évidemment l’auteur d’Agésilas ou d’Attila. C’est ce Corneille dont nous disons en France, qu’en substituant sa conception de la volonté à celle du « point d’honneur » espagnol, il a « humanisé » en l’« universalisant » ce qui donne au drame espagnol son caractère si « national, » mais en même temps si « particulier. » Là est sa part d’« invention, » si la véritable « invention » littéraire est, comme nous le croyons, de nature psychologique, et s’il est toujours assez facile de « trouver » des situations qui étonnent, mais moins aisé de les « motiver » et, en les motivant, de leur donner un air de vraisemblance qu’elles ne tiennent pas toujours de la réalité.

Mais une autre « invention » de Corneille, celle qui achève de le classer au rang des « génies originaux, » et qui fait de son théâtre, comme de celui de Calderon ou de Shakspeare, — j’oserai même dire comme du théâtre grec, — une « création » unique dans l’histoire de la littérature dramatique, c’est l’emploi qu’il a fait de l’histoire dans le drame, et que personne, remarquons-le bien, ni Shakspeare, ni les Grecs, n’en avait fait avant lui. On a écrit tout un livre, et un savant livre, qui n’est pas bon, sur le Grand Corneille historien ; il y en aurait un autre, et un meilleur à écrire, sur l’Emploi de l’histoire dans le drame, et comment se fait-il qu’on ne l’ait pas écrit ? Car, évidemment, et