de Sénèque ;... Robert Garnier, ce disciple de Sénèque, est le moins indigne des prédécesseurs de Corneille au XVIe siècle... » et il ne fait, en le disant, que redire ce que nous avons tous plus ou moins dit. Nous avions raison, et lui aussi, s’il n’est pas douteux qu’au XVIIe siècle même, on retrouve le souvenir, sinon l’influence de Sénèque, dans le théâtre de Corneille et dans celui de Racine. Passons cependant la Manche, et consultons les historiens du théâtre anglais. Eux aussi nous parlent de Sénèque, et nous disent, en propres termes, que, dans les premières années du règne d’Elisabeth, il n’y a pas un « classique » dont la popularité soit comparable, non seulement entre les lettrés mais parmi les auteurs dramatiques, à celle de Sénèque le Tragique. Ils en donnent d’excellentes raisons, dont celle-ci n’est pas la moins ingénieuse ni la moins solide, que, de tous les écrivains de l’antiquité gréco-latine, Sénèque étant le plus « cosmopolite, » avec Plutarque, est donc aussi, comme Plutarque, celui que les modernes ont dû le mieux comprendre. Ils nous rappellent alors que, de 1559 à 1581, toutes les tragédies de Sénèque ont été traduites en anglais. Ils ajoutent que les preuves abondent de l’influence de ces traductions sur les commencemens de la tragédie anglaise : les Iphigénie, [es Ajax, les Persée, les Mucius Scevola, les Quntus Fabius, les Scipion, se succèdent sur la scène, les Jocaste et les Catilina. Et, naturellement, la question se pose de savoir pourquoi les choses s’étant passées jusque-là, — c’est-à-dire jusqu’aux environs de 1580, — en Angleterre comme en France, elles commencent donc alors de s’y passer autrement. Nous soupçonnons que, si les historiens du théâtre français ne se sont pas exagéré l’influence de Sénèque sur la formation de la tragédie, leur explication n’explique en réalité rien du tout. En littérature et en art, comme ailleurs, les mêmes causes ne sauraient manquer d’opérer les mêmes effets. Et si l’on dit que, les effets n’étant pas les mêmes, étant même contraires ou contradictoires, les « mêmes causes » n’étaient donc pas à vrai dire les mêmes, la question change ici de nature ! Les différences qui séparent la conception générale du drame anglais de celle de la tragédie française ne viennent pas d’une différence de culture ou d’éducation littéraire. Si le drame anglais est ce qu’il est en dépit de Sénèque, il y a lieu de croire que, sans Sénèque, la tragédie française n’en serait pas moins ce qu’elle est. Il faut creuser plus profondément. Il faut chercher ailleurs,
Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/219
Apparence