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enthousiaste ; c’étaient des conditions médiocres pour se ruer à fond dans une aventure. Il n’était pas jusqu’à cette faiblesse de l’ennemi, jusqu’à l’inégalité absolue entre la petite république du Venezuela et les trois grands empires ou royaumes, Allemagne, Angleterre, Italie, qui ne rendît une pareille expédition difficile et presque odieuse. Aussi, dès qu’un règlement amiable, une solution pacifique et juridique du différend, dès que l’arbitrage était proposé, il s’imposait.

Restait à choisir l’arbitre. L’Angleterre et l’Allemagne auraient désiré que ce fût le président des Etats-Unis, M. Roosevelt. Le président des États-Unis a préféré que l’on soumît le litige à la Cour de la Haye. Les alliés ont leurs motifs et M. Roosevelt a les siens. L’Allemagne et l’Angleterre craignent que l’arrêt de la Cour de la Haye n’ait pas de sanction ; peu pressées d’éprouver les premières une juridiction dont elles ont été les dernières à approuver le principe même, elles n’eussent pas été fâchées, par surcroît, de lier, en la personne de M. Roosevelt, les mains aux États-Unis. Mais les motifs de M. Roosevelt, quoique contraires, ne sont pas moins bons. Il tient, lui, à ce que les mains des États-Unis demeurent libres, et, pour éviter d’être juge, il s’est constitué partie. Il y a mis une obstination douce, qu’on a sentie irréductible ; l’affaire sera donc portée devant la Cour d’arbitrage, qui fera là un début sensationnel. Nous ne nous perdrons pas en commentaires sur cet événement peut-être mémorable et ses conséquences futures ; nous nous abstiendrons d’en augurer des destinées nouvelles pour l’humanité ; nous nous contenterons de nous réjouir, très simplement et très sincèrement, que les choses aient pris cette tournure, et qu’en ces jours de Noël où fut dite la grande parole : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! » la cause de la paix n’ait point été trahie. — Pourvu seulement qu’il y ait sur la terre assez d’hommes de bonne volonté !


CHARLES BENOIST.


Le Directeur-Gérant,

F. BRUNETIERE.