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Ce prince silencieux, que je sais difficilement accessible, possède le charme et la grâce ; une exquise courtoisie, jointe à certaine forme particulière de timidité que je n’ai jamais rencontrée que chez de très grands seigneurs. D’abord, il daigne s’informer si je suis bien traité dans son pays, si les chevaux que l’on m’a envoyés de sa part me plaisent, et la voiture : banalités par où commence notre conversation, qui est forcément hésitante, car des Mondes de conceptions et d’hérédités différentes nous séparent. Mais ensuite, quand il est question des choses d’Europe, et des pays d’où je viens, et de la Perse où j’irai bientôt, j’entrevois combien de pensées, curieuses sans doute pour l’un et pour l’autre, nous aurions pu échanger, s’il n’y avait entre nous tant de barrières...

Cependant, on vient avertir le prince que c’est l’heure de sa chevauchée du soir, dans le bois charmant qu’habitent les trois fakirs. Il doit contourner cette fois les eaux du lac, jusqu’à la maison où s’assemblent chaque jour les sangliers ; des serviteurs l’attendent, avec de grands parasols asiatiques, pour l’abriter sur les terrasses, le maintenir à l’ombre jusqu’en bas où ses barons et ses chevaliers sont déjà en selle, prêts à le suivre.

Avant de me congédier, il veut bien donner l’ordre de me montrer le palais inachevé qu’il fait construire, et de préparer ensuite une barque pour me mener dans les vieux palais des îles.


A notre époque où tout s’en va, il se trouve donc encore dans l’Inde des princes pour construire des demeures purement indiennes, comme en imaginaient leurs ancêtres, dans les temps magnifiques.

Très haut perché, ce nouveau palais, sur une esplanade circulaire qui s’avance en promontoire vers le lac. Une suite de salles blanches, de kiosques blancs, — tout en festons, en dentelles de grès ou de marbre, — orientés de façon à regarder sous ses différens aspects ce lac royal, où l’on descend par de majestueux escaliers flanqués d’éléphans de pierre, et dont les eaux s’entourent de hautes montagnes laissées sauvages, feutrées de forêts. A l’intérieur, des mosaïques de verre et de porcelaine courent sur toutes les murailles ; dans telle salle, des branches de roses, dont chaque fleur est composée de vingt porcelaines différentes ; dans une autre, des plantes d’eau, des nénuphars, avec des hérons et des martins-pêcheurs. De patiens mosaïstes