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archaïques, de faïences bleues, et de soleils d’or ; de l’autre, il y a contre la muraille une série de loges, où des éléphans entravés, tout en se dandinant, mâchent des herbages ; au milieu, trois ou quatre cents hommes de farouche allure, — montagnards, Bhils arrivés pour la fête du Dieu, — tenant des bâtons qu’ils frappent les uns contre les autres, s’exercent à une danse guerrière, que leur jouent des musettes, des trompes, des tamtams énormes et des cymbales de bronze ; sur une terrasse, des femmes par centaines se penchent pour les voir danser, et c’est une exposition de beautés aux yeux sombres, aux gorges admirables sous des mousselines.

Pour arriver jusqu’au souverain, combien de couloirs il me faut traverser encore ! Combien de cours, où de grands orangers fleurissent et embaument, entre des arcades de marbre blanc ! Et tant de vestibules, encombrés de babouches qui traînent ! Des hommes à long sabre, assis dans tous les coins. Et des passages resserrés en souricière, et des petits escaliers obscurs, du vieux temps, aux marches roides et glissantes, si étroits qu’ils inquiettent, taillés dans l’épaisseur des murs ou de la pierre vive. Toujours des gardes, dans l’ombre, toujours des babouches par terre, et, çà et là, des divinités horribles, du fond de leur niche nous regardant passer. A une porte enfin, après que nous sommes montés très haut dans l’échafaudage des roches et des salles superposées, l’officier qui me guide s’arrête respectueusement, dit à voix basse : « C’est ici qu’est Son Altesse, » et me laisse entrer seul.

Une galerie blanche, aux arcades de marbre, donnant sur une très vaste terrasse blanche ; par terre, une toile blanche, neigeuse ; pas un garde ; pas un meuble non plus, rien — que deux chaises dorées, pareilles, l’une près de l’autre, dans cette petite solitude immaculée, fraîche, un peu aérienne. Et je reconnais là, seul, debout et la main tendue, le cavalier pour qui l’autre soir les fakirs du bois arrangeaient leur visage : il est vêtu d’une simple robe blanche, avec un collier de saphirs.

Maintenant, nous nous sommes cérémonieusement assis sur les légères chaises dorées, et, derrière nous, se tient un interprète arrivé sans bruit, qui met devant sa bouche, chaque fois qu’il parle, une serviette de soie blanche, pour empêcher son haleine d’aller vers son souverain, — précaution inutile du reste, car les dents sont claires et le souffle pur.