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de Gwalior[1], la ville sculptée, la ville toute en dentelle blanche, célèbre dans l’Inde pour la magnificence et la fantaisie de ses ciselures sur pierre. C’est presque trop joli, tout ce qu’on voit, trop travaillé, trop ajouré ; on dirait des maisons de parade, qui seraient en fin cartonnage découpé à l’emporte-pièce ; mais elles sont en grès dur et leur luxe délicat n’est point fragile. Les milliers de petites colonnes, encadrant les porches festonnés ou les fenêtres frangées de stalactites, ont des chapiteaux qui imitent des feuillages, et des bases en forme de calice de fleur. Une quantité extravagante de loggias, de moucharabiehs, — toujours en ce grès des carrières voisines, — se superposent et débordent sur la rue. Au pays de Gwalior, si l’on veut faire un grillage de balcon, ou une persienne pour rendre les belles dames invisibles, on prend une grande plaque de grès, amincie comme une planche, et on y découpe des arabesques finement exquises ; une fois en l’air, cela ressemble à de frêles boiseries, ou même cela simule des légèretés de papier. Et tout est peint à la chaux, blanc comme neige, avec çà et là, sur les murailles, d’éclatantes peinturlures représentant des fleurs, des promenades d’éléphans, des cortèges de dieux.

Dès qu’on entre dans la ville féerique, le cauchemar de la famine est déjà presque oublié, malgré la désolation des campagnes, la désolation qui de jour en jour augmente et s’approche ; les gens sont riches, ici, pour acheter des graines ; les gens ont de l’eau encore pour entretenir les jardins, et on vend les roses roses à pleins paniers sur les places, pour les parfums ou les parures.

C’est une ville de Brahma, et cependant les turbans y règnent comme en pays de Mahomet ; — des turbans très particuliers, il est vrai, qui s’enroulent toujours sur une forme rigide et qui, suivant les castes et les situations, varient à l’infini. Les uns ressemblent à une conque marine, les autres à un chaperon Louis XI, à un escoffion, ou encore à un bicorne aux longues ailes relevées. Ils sont en soie écarlate, fleur de pêcher, aurore, jaune soufre ou vert céladon ; comme à Hyderabad, leurs nuances fraîches éclatent sur la blancheur des foules et la blancheur des rues. — Quant au signe de Çiva sur les fronts, il devient ici une sorte de papillon blanc, très soigneusement

  1. A environ 80 lieues dans l’est de Jeypore.