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Les palais funéraires des anciens rois de Gwalior occupent, de l’autre côté de la ville, tout un silencieux quartier. Au milieu de jardins, ce sont des temples en grès ou en marbre, dont les pyramides ont forme de cyprès colossal, de grand if de cimetière.

De tous ces mausolées, qui dressent leurs tours pointues vers le ciel, le plus somptueux est celui où dort, depuis peu d’années, le précédent Maharajah. Le grès et le marbre blanc y sont travaillés avec magnificence, et, au fond, à la place très sacrée, est assise une vache en marbre noir, un des symboles les plus vénérés du brahmanisme. On vient à peine de le finir, ce tombeau royal, et déjà les oiseaux l’ont envahi. Hiboux, tourterelles et perruches nichent par tribus dans la pyramide, dont les escaliers sont semés de plumes vertes ou grises. La pyramide est très haute, et, du sommet, la ville, sous le tournoiement des corbeaux et des aigles, apparaît toute, avec ses maisons en dentelle, ses palais, ses jardins mourans, les grands ifs de pierre de ses temples. Ses environs, ainsi qu’il arrive toujours dans l’Inde, sont encombrés de ruines : anciens Gwalior, anciens quartiers, anciens palais, abandonnés au cours des siècles, à la suite de fantaisies ou de guerres. Un côté de l’horizon est occupé par une de ces citadelles de Titans comme on en construisait partout dans ces pays, aux âges héroïques, alors que les nobles peuples hindous, non encore domestiqués par l’étranger, vivaient d’une vie libre, belliqueuse et superbe : une lieue de remparts, de donjons et de vieux palais farouches, couronnent là-bas des rochers abrupts, de plus de cent mètres de haut. Enfin se déroulent les lointains extrêmes, d’une nuance de cendre et de feuille rousse ; et ces forêts mortes, ces jungles mortes, aperçues dans le recul effacé des derniers plans, jettent leur menace silencieuse à la ville encore insouciante et gaie, annoncent que la famine s’approche.


Sur un éléphant du roi, le dernier soir, et en compagnie d’un aimable personnage de la cour, j’ai fait ma promenade d’adieu dans la ville du grès ajouré, à l’heure moins chaude où les femmes aux mousselines peintes, aux mousselines argentées, prennent l’air sur les balcons précieux.

On reconnaissait mon compagnon et le costume des deux coureurs qui nous précédaient ; alors on saluait beaucoup.