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flanc d’une montagne encombrée de ruines, qui est comme une immense nécropole de dieux, de temples et de palais.

En montant, il zigzague sur la route, pour rendre l’ascension plus douce ; toute sa masse dandinante me berce d’ondulations molles, et chacun de ses pas donne le sentiment de sa lourdeur de colosse, par l’écrasis de poussière qui se fait sous son pied large. Cependant sa marche feutrée est à peine bruyante et, dans le silence absolu des entours, on n’entend guère que le son grave des deux cloches d’argent pendues à ses côtés, qui sonnent un carillon mélancolique, à intervalle mineur. Parfois aussi un grand fouettement de plumes, dans l’air immobile et chaud : un vautour, un aigle passe.

La montée est raide, au flanc des roches verticales. Du côté du vide, un mur épais et bas, aux créneaux de forteresse, se découpe sur les lointains grisâtres, estompés de poussière et d’éblouissemens de soleil. Du côté de la montagne, on est dominé par des choses cyclopéennes ; cent mètres de granit à pic, avec un couronnement de châteaux, de donjons comme les hommes de nos jours n’oseraient ni ne pourraient plus en construire ; en levant la tête, on aperçoit, sur une longueur infinie, ces prodigieux palais des anciens âges, en style inconnu, qui, depuis des siècles, tout au bord de l’abîme, se tiennent debout sans vertige, avec leurs guérites surplombantes et leurs miradors. Par-dessus la forteresse naturelle qu’était déjà cette montagne, des dynasties de rois dont nous n’imaginons plus l’existence ont fait pendant plus de mille ans entasser les blocs sur les blocs pour se créer là-haut d’imprenables repaires. Vraiment les manoirs et châteaux forts de nos petits hobereaux d’Occident font sourire, à côté de ces ruines écrasantes dont l’Inde est partout surchargée.

L’éléphant monte lourdement, au carillon de ses deux cloches monotones et douces. Le soleil vertical dessine sous lui son ombre ballottante et reproduit en noir par terre le balancement de sa trompe. Deux hommes, qui par étiquette nous précèdent, grimpent comme en somnolence, tenant en main de longues cannes de parade à pomme argentée. Des portes, à différentes altitudes, coupent ce chemin, par lequel nous nous élevons avec une lenteur orientale ; il va sans dire, ce sont de terribles portes, surmontées de donjons à meurtrières ; et des soldats de Gwalior les gardent, sans doute parce que leur roi habite en ce moment