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là-haut, parmi les débris du passé grandiose. Les lointains élargissent autour de nous leur cercle vague ; la nuance des arbres desséchés s’y fond en grisaille, sous l’espèce de brouillard de cendre suspendu dans l’air ; l’horizon gris se perd dans le ciel gris, saturé de poussière étincelante, et les grands oiseaux de proie se lassent de tourbillonner depuis le matin au-dessus de tout cela, qui sent la soif, l’épuisement et la mort.

Une réverbération torride émane des rochers ; il n’y a aucun souffle dans l’atmosphère ; voici que les oiseaux mêmes s’endorment, vaincus par la torpeur méridienne ; aigles et vautours replient leurs ailes, se posent et nous regardent passer. L’allure de l’éléphant engourdit l’esprit peu à peu, comme un continuel bercement de gondole ; les yeux se ferment éblouis, et, bientôt, au milieu de cet ensemble de choses grises, où le rouge même des granits s’atténue sous la poussière des années sans eau, je ne perçois plus guère que les premiers plans, les objets qui éclatent devant moi tout proches. C’est d’abord un turban doré, une nuque brune, un dos drapé de blanc, une petite lance acérée : le cornac hindou, accroupi à la Bouddha sur le front de la bête et tenant en main l’arme directrice. Ensuite c’est un peu du drap écarlate de la têtière, et ce sont les deux gigantesques oreilles roses, tigres de noir, qui s’agitent en continuel mouvement d’éventail, pour écarter les taons et les mouches.

Il monte, l’éléphant, infatigable, docile et calme, meurtrissant la route sous ses pieds lourds. A côté de lui, au flanc des roches, de gros blocs arrondis, qui déjà lui ressemblaient, ont été plus ou moins retaillés à son image, par des hommes d’on ne sait quelle époque perdue dans la nuit ; de vagues bas-reliefs représentent des trompes, des têtes à longues défenses, ou parfois des croupes, à peine dégagées de la masse primitive. Il y a aussi maintenant des inscriptions en plusieurs langues disparues, et beaucoup de dieux sculptés à même la montagne, dans des niches, — œuvres des Pals ou des Jaïnas, qui furent les premiers habitans de ce lieu formidable.

En bas, dans la plaine brûlante, sous l’espèce de buée de cendre qui flotte, les ruines de l’ancien Gwalior commencent de se découvrir ; et aussi les blancheurs du nouveau, — que les Indiens appellent dédaigneusement Lachkar (le campement), — ses grands ifs de pierre, les tours de ses temples brahmaniques. Il est midi. Du feu blanc descend sur nos têtes, les granits surchauffés