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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/277

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ont un rayonnement de fournaise. Aigles, vautours et corbeaux dorment, hébétés de silence et de chaleur.

Et, montant toujours, nous arrivons au pied de ces palais terrifians, qui sont assis au bord du vide et qui prolongent en hauteur la crête de la montagne. Les façades à tourelles ont une magnificence incomparable, bâties dans toute leur étendue par assises régulières, en monstrueux blocs toujours égaux, et ornées d’une profusion de mosaïques, en émail bleu, vert et or, représentant toutes sortes de personnages et de bêtes. C’étaient jadis les demeures des puissans rois de Gwalior, qui, jusqu’au XVIe siècle, vécurent là perchés, et inaccessibles.

Une dernière porte colossale, revêtue d’émaux bleu-de-lapis, que gardent encore des soldats du Maharajah, nous donne enfin accès sur ce plateau du sommet qui a presque une lieue de long ; qui est entièrement entouré de remparts ; qui est réputé la position la plus imprenable de toute l’Inde occidentale ; qui depuis les temps historiques n’a cessé d’être un objet de convoitise pour les rois guerriers ; qui a vu d’étonnantes batailles ; dont l’histoire emplirait des volumes, — et qui n’est plus qu’une haute solitude couverte de palais, de tombeaux, de temples et d’idoles de toutes les civilisations et de tous les âges. Nulle part dans notre Europe on ne trouverait un lieu qui puisse lui être comparé, un si tragique musée des grandeurs disparues.

Devant le premier palais orné d’émail, qui est aussi le moins farouchement archaïque et le moins détruit, l’éléphant s’agenouille, nous mettons pied à terre, et nous entrons.

Il a cinq cents ans à peine, celui-ci ; mais ses soubassemens cyclopéens datent des rois Pals, dont la dynastie fut régnante à Gwalior depuis le IIIe siècle jusqu’au Xe siècle de notre ère. Des salles trapues, formidables, plafonnées en blocs de granit. Le silence particulier des ruines, une pénombre subite et, pour nous qui venons du brûlant dehors, un peu de fraîcheur. Il ne reste du luxe d’autrefois que la profusion des sculptures et les merveilleux émaux des murailles, représentant des bêtes ailées, des phénix, des paons, aux plumes vertes ou bleues, d’un coloris éclatant et inaltérable dont le secret est perdu. La vision du monde extérieur ne pénétrait dans ce palais qu’à travers des plaques de granit, scellées dans la maçonnerie et percées de petits trous : telles étaient les fenêtres où venaient rêver les belles captives, et où sans doute les rois s’installaient pour observer les