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d’institutions volontaires et libres, comme celles dont la Belgique a donné l’exemple.

Quant au quatrième facteur appelé à résoudre le problème social, c’est-à-dire la religion, les faits à eux seuls et l’état d’esprit de la classe ouvrière suffisaient, d’après Cochin, pour en justifier la nécessité. Depuis cinquante ans, les ouvriers sont devenus plus libres, plus instruits, plus puissans ; ils ont bénéficié des découvertes, des progrès de la science, de plus de justice dans les lois, d’un mouvement généreux ; ils vivent dans une société fondée sur légalité et la liberté. Or, ils deviennent, à mesure que ces progrès s’accomplissent, plus aigris, plus mécontens, plus menaçans à l’égard des autres classes ; le fardeau, depuis qu’il est moins lourd, leur paraît plus pesant ; ils ne le supportent qu’avec colère. D’où viennent cette contradiction, ce trouble, cette absence de sécurité ? C’est qu’il y a dans le problème ouvrier, comme le disait avec tant de justesse Jules Simon, avant tout un mal moral, et que ce sont les âmes qu’il faut guérir. Or, il n’est qu’une seule puissance au monde qui possède le secret d’agir efficacement sur les âmes, de les pacifier, de refréner les appétits, de réveiller les consciences ; et cette puissance, elle vient des enseignemens de l’Evangile. Seul, le christianisme peut atténuer les conséquences d’un régime économique fondé sur le facile avancement des forts, et sur le mépris ou l’oubli indifférent des faibles, des petits, des vaincus de la vie. Je me souviens d’un fait qui m’a singulièrement frappé, à ce sujet, lors de l’Exposition universelle de 1867, à Paris. Appelé à l’honneur de diriger les enquêtes du jury spécial du nouvel ordre de récompenses, institué pour mettre en lumière les établissemens et les localités agricoles et industrielles, où règnent, au degré le plus éminent, le bien-être et l’harmonie sociale, j’ai eu entre les mains, examiné, annoté des milliers de dossiers venus de tous les points du monde. Or, je puis affirmer que je n’ai, à vrai dire, pas rencontré de milieux réunissant ces conditions là où le sentiment chrétien n’existait pas, et que j’en arrivais presque invariablement à cette conclusion, devenue banale tant elle a été souvent formulée, qu’un progrès de bien-être dépend d’un progrès moral, et qu’un progrès moral dépend d’un progrès religieux[1].

  1. Dans une conférence faite à la mairie du VIIIe arrondissement de Paris, en 1868. sous la présidence d’Augustin Cochin, j’ai exposé les résultats de cette enquête sous ce titre : De la condition de l’ouvrier dans la société contemporaine.