Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces deux forces, en dépit du violent et changeant effort des passions, tour à tour prête à intervenir contre les emportés et contre les attardés pour maintenir en tout la juste mesure. Il ne croyait pas abdiquer sa raison en s’inclinant devant une autorité que sa raison avait délibérément acceptée ; et les doctrines mêmes qu’il a professées dans son livre prouvent combien il reste de vraie liberté aux penseurs chrétiens.

Pour moi, en lisant les Espérances chrétiennes, je me suis dit plus d’une fois que mon chagrin serait profond de ne pas partager la foi de celui qui a écrit ces pages. Se peut-il rencontrer une force de démonstration plus décisive que celle qui sort de ce livre, résumé d’une vie consacrée tout entière à la pratique du bien ? Et si une âme si droite, si pure, si sincère, si lumineuse, n’a pas connu la vérité, quelles peuvent donc être les conditions qu’il faut réunir pour la découvrir ?


VII

Cochin s’était flatté vainement de quitter la vie politique et de se vouer désormais à sa grande étude d’apologie. Les instances de ses amis vinrent le chercher dans sa retraite. Ils lui représentèrent l’état du pays, le besoin qu’on avait de services tels que les siens ; à côté des plaies matérielles à panser, la grande œuvre de restauration morale, nationale, à accomplir. Pouvait-il rester indifférent, même en apparence, à tant de maux, à une semblable tâche, lui, si profondément patriote et chrétien ? Alors qu’un devoir pressant le conviait à l’action, allait-il s’enfermer dans les spéculations philosophiques, se murer dans sa tour d’ivoire ? Ne craignait-il pas d’y être bientôt poursuivi par le remords, et n’était-ce pas démentir toute une existence de dévouement ?

Ces efforts finirent par triompher, non seulement de goûts très décidés, mais encore de la sourde résistance qu’opposait une santé compromise. Déjà, en effet, malgré son énergie, on pouvait lire sur ses traits quelque altération, et dans ses regards une expression de tristesse ; mais c’étaient là des symptômes que l’on avait sujet d’attribuer aux épreuves de la guerre et du siège.

Cochin finit par se rendre. Qu’allait-on lui proposer ? On ne pouvait guère songer pour lui à un portefeuille : il n’était pas député. M. Thiers, alors chef du pouvoir exécutif, le connaissait