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d’intérêt, des préoccupations qui se manifestaient au sein même de l’Assemblée nationale. Le vénérable M. Benoist d’Azy, beau-père de Cochin, était chaque jour entouré, questionné sur les progrès du mal, sur les chances de succès des médecins. Il semblait qu’on eût conscience qu’un bon citoyen allait manquer au pays dans un moment où son concours eût été particulièrement précieux. Et, en effet, Cochin disparaissait alors que son intervention eût pu s’exercer de la manière la plus utile pour les intérêts publics. Il avait la confiance de M. Thiers, il était intimement lié avec les membres de la majorité de l’Assemblée, avec ses chefs, avec le duc de Broglie, notamment. Il était écouté. Nul n’aurait eu plus de chances d’empêcher la rupture entre les conservateurs et le chef du pouvoir exécutif, — rupture qui devint inévitable du jour où n’exista plus, entre les deux camps, aucun porte-parole, aucun messager de paix. Cette scission évitée, que de conséquences auraient pu s’ensuivre pour l’avenir du pays, pour l’orientation de sa politique intérieure !

Faut-il, au même degré, déplorer pour Cochin une mort prématurée ? Revenu à la santé, il aurait peut-être joué un grand rôle. Il y était, en tous cas, parfaitement préparé : aucune des qualités de l’homme d’Etat ne lui manquait ; son éloquence seule l’eût placé au premier rang. Mais, d’autre part, qui nous assure que Cochin eût connu de la politique autre chose que ses mécomptes, ses amertumes, ses trahisons ; qu’il n’eût pas été promptement la victime des factions, perdu par ses qualités mêmes, taxé de faiblesse pour sa modération, réduit à l’impuissance et à l’isolement par son impartialité, méconnu dans ses meilleurs actes, calomnié dans toute sa conduite ? Qui sait si ceux-là mêmes, qu’il eût voulu défendre, n’auraient pas rendu ses efforts stériles ?... Et qui oserait dire qu’il ne serait pas sorti de ces luttes diminué, abattu, écœuré ? La seule chose dont on ne puisse douter, c’est que, dans n’importe quelle situation, il eût fait son devoir jusqu’au bout. Mais, sans nous arrêter vainement à des hypothèses, félicitons-nous d’avoir devant les yeux, pour nous élever, nous consoler, nous fortifier, le spectacle réel de cette admirable vie, toute de charité, et si une, si harmonieuse, qu’elle fait songer à ces êtres privilégiés dont l’antiquité pensait qu’ils avaient une lyre dans le cœur, et dans l’esprit une musique qu’exécutaient leurs actions.