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À l’heure où succombait Cochin, les destinées de la France demeuraient indécises, et son regard défaillant entrevoyait sans doute bien des épreuves encore. Mais il avait conscience que les causes auxquelles il s’était dévoué ne pouvaient pas périr, qu’elles n’avaient pas à s’inquiéter des outrages de l’homme, assurées qu’elles étaient d’être vengées par le temps. Aucun peuple, répétait-il souvent, n’a jamais pu vivre sans religion ni sans liberté : cela suffit à l’avenir. Accoutumé à voir en tout l’action providentielle, il demeurait plein de confiance, soit qu’il pensât à son pays, soit qu’il se préoccupât des siens. Jusqu’à son dernier soupir, il appartint « au parti de l’espérance, » et telle fut la sérénité de sa mort, qu’elle donne raison à la pensée de Lacordaire, voyant dans notre dernière heure la plus belle de la vie. C’est là, en effet, que se retrouvent toutes les vertus qu’on a pratiquées, toute la force et la paix dont on a fait provision, tous les souvenirs, toutes les images chéries, et cette belle perspective de Dieu, devant laquelle s’évanouissent les choses terrestres.

Cochin s’éteignit le 15 mars 1873. Il mourait avec la certitude de n’avoir travaillé qu’au triomphe de la vérité et au rapprochement des esprits, de n’avoir réellement ambitionné qu’un seul titre, celui, qu’il reçut souvent, de bienfaiteur des pauvres. Quand il sentit que ses instans étaient comptés, il fit approcher ses enfans et ses serviteurs, et il leur dit : « Venez me voir dans la paix du Seigneur. » Et, comme on lui objectait que tout espoir n’était pas perdu, qu’il ne devait pas devancer l’arrêt de la Providence, mais s’associer à ceux qui demandaient pour lui la vie : « Ah ! répondit-il, enfermant dans ces suprêmes paroles le testament de son âme, je ne désire vivre que pour servir Dieu, et mourir que pour le rencontrer ! »


LEON LEFEBURE.