Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arrêter chez eux les principaux meneurs, Fouché, La Fayette, Lanjuinais, Manuel, Jay, Lacoste[1], il devenait plus hasardeux le 22 juin. Cependant, si l’Empereur avait trop tardé d’agir, les moyens d’action ne lui manquaient pas encore. Il y avait à Paris 4 300 hommes des dépôts de la garde, 6 000 hommes de la ligne, huit compagnies de fusiliers vétérans, 700 gendarmes, deux bataillons de militaires retraités[2], enfin, les tirailleurs fédérés qu’aurait soutenus tout le peuple des faubourgs. C’était suffisant pour imposer à la garde nationale censitaire[3], en majorité hostile à l’Empereur, mais peu combative de sa nature. Des ministres de l’Intérieur, de la Guerre et de la Police, les seuls qui eussent à intervenir ce jour-là, Napoléon aurait entraîné aisément le premier et ramené, non sans quelque peine peut-être, le second à l’obéissance passive. Quant au troisième, il y avait, pour le remplacer sur l’heure, Rovigo ou Real. Napoléon comprenait tout cela. S’il hésitait, s’il reculait même devant l’entreprise, ce n’est pas qu’il doutât du succès immédiat, c’est qu’il envisageait avec inquiétude les conséquences de ce succès. En ajournant le parlement, il supprimerait un obstacle capital, mais en même temps il détruirait le point d’appui qu’il jugeait indispensable pour soulever tout le pays. « Je pourrai tout avec les Chambres, avait-il dit à Lucien ; sans elles, je ne pourrai sauver la patrie. » Et il continuait de penser qu’une mesure violente contre les Chambres, accréditant l’opinion que les puissances s’étaient armées contre lui seul, désintéresserait de la défense nationale, provoquerait la désunion jusque parmi les chefs de l’armée et paralyserait tous ses efforts. En cette journée. et cette nuit douloureuses, l’Empereur eut des révoltes d’orgueil froissé et d’espérance déçue, des paroles de menace, des velléités

  1. « Pendant la nuit, a écrit La Fayette lui-même, Bonaparte pouvait faire arrêter les membres influens de la Chambre, la dissoudre et prendre la dictature. Il manqua de résolution. »
  2. Dépôts de la vieille garde, grenadiers, chasseurs et troupes à cheval : 2 638 hommes. Jeune garde, 4e, 5e et 7e tirailleurs, 4e et 5e voltigeurs : 1 648 hommes. — 4e’bataillons des 11e, 23e et 37e de ligne ; dépôts des 1er , 2e, 69e et 76e de ligne, et des 1er , 2e et 4e légers ; 8 compagnies des 2e et 4e d’artillerie, 12 compagnies d’artillerie de la marine. Retraités de Seine-et-Oise et de Seine-et-Marne.
  3. Il y avait 36 000 gardes nationaux inscrits sur les contrôles, mais seuls les grenadiers et chasseurs, ensemble 20 245 hommes, étaient habillés et armés. (Situation de la garde nationale de Paris au 1er  juin. Arch. Nat., F. 9, 760). C’était tout de même une force importante. Mais il ne semble pas probable que la garde nationale eût résisté à la troupe appuyée par les Fédérés et la population ouvrière.