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Le calme très lentement rétabli, la discussion reprit. Ségur, Bassano, le prince Joseph, Rœderer exposèrent tour à tour les raisons d’ordre constitutionnel et d’intérêt militaire qui engageaient à proclamer Napoléon II. Ils furent combattus par Cornudet, Lameth, Quinette, Thibaudeau, et derechef par Pontécoulant. Ces débats se prolongeaient vainement, car la majorité de la Chambre avait depuis longtemps arrêté sa résolution. Flahaut ayant interrompu Pontécoulant par ces mots : « Si l’Empereur avait été tué, n’est-ce pas son fils qui lui succéderait ? Il a abdiqué, il est mort politiquement ; pourquoi son fils ne lui succéderait-il pas ? » le ministre de la Marine, Decrès, repartit avec sa brutalité habituelle : « — Est-ce le moment de s’occuper des personnes quand la patrie est en danger ? Ne perdons pas un moment pour prendra les mesures que son salut exige. Je demande que la discussion soit fermée. » Il était plus de minuit, on avait hâte d’en finir. Mis aux voix, l’ajournement de la proposition de Lucien et la clôture de la discussion furent votés à une grande majorité.

Restait encore l’élection des deux membres de la Commission de gouvernement. Les rares bonapartistes demeurés fidèles votèrent pour Lucien ; il eut dix-huit voix sur soixante-six votans. Caulaincourt et Quinette furent élus par cinquante-deux et quarante-huit suffrages. Caulaincourt était désigné en sa qualité de ministre des Relations extérieures ; on savait en outre que le Tsar lui témoignait de l’amitié. Quant au régicide Quinette, baron de l’Empire, il avait pour lui de s’être montré toujours plein de zèle et de servilité à l’égard du parti au pouvoir. Un homme de ce caractère convenait bien à Fouché, qui, à la Chambre des pairs comme à la Chambre des députés, avait secrètement intrigué pour le choix des candidats.

Pendant que les députés et les pairs sacrifiaient si allègrement sur l’autel de la peur Napoléon et son fils, des bandes de populaire, des officiers sortant du café Montansier et du café Lemblin parcouraient les rues en criant : « L’Empereur ou la mort ! » Toute cette journée, il y avait eu dans Paris beaucoup d’agitation. Dès le matin, des ouvriers portant des branches vertes, « comme emblèmes de liberté, » dévalaient en longues colonnes du faubourg du Temple, du faubourg Saint-Antoine, du faubourg Saint-Marcel. La plupart étaient en blouse ou en bourgeron de travail ; quelques-uns avaient revêtu leur habit bleu à