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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/380

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— Veut-on ajourner la délibération jusqu’à ce que Wellington soit à nos portes ?

— L’ordre du jour, dit Malleville. Attendons le résultat des négociations ; du reste, l’abdication de l’Empereur a été acceptée purement et simplement.

— Vous calomniez l’Assemblée ! crie-t-on de divers côtés. A son tour, Regnaud monte à la tribune ; il insiste pour le vote immédiat : « La Commission de gouvernement ne peut et ne doit agir qu’au nom de Napoléon II ; sans cela l’armée ne sait plus à qui elle obéit ni pour qui elle verse son sang. » Interrompu par des murmures et des cris, au milieu desquels on entend : « L’armée verse son sang pour la nation ! » il reprend sans se laisser déconcerter : « Non seulement les soldats doivent savoir au nom de qui on leur donne des ordres, mais les négociateurs eux-mêmes devront savoir au nom de qui ils parlent. » Il conclut que, pour sauver la patrie, il faut proclamer Napoléon II séance tenante. Bigonnet objecte que les Puissances opposeront à la proclamation du Prince impérial cette raison péremptoire qu’elles se sont armées contre la violation du traité de Paris, traité qui exclut du trône Napoléon et sa famille. Dupin dit que « si l’on a accepté l’abdication parce qu’on désespérait que l’Empereur pût sauver la patrie, il est déraisonnable d’attendre d’un enfant ce que l’on ne pouvait espérer d’un héros. » Bien que la logique en soit un peu spécieuse, cet argument frappe l’assemblée, mais Dupin ayant ajouté : « C’est au nom de la nation qu’on se battra, c’est au nom de la nation qu’on négociera, » Bory Saint-Vincent lui crie : « Que ne proposez-vous la République ? » Interdit, Dupin quitte la tribune avec un geste de dénégation, murmurant le vers de Corneille :


Le pire des états est l’état populaire.


Tout l’effet de son discours était détruit. La Révolution, même avec ses troubles, — surtout avec ses troubles, — avait encore des partisans dans les masses populaires. Au Parlement à qui cependant la foi et l’énergie des terroristes devait servir d’exemple en ces jours de péril national, les souvenirs de la Convention n’inspiraient que craintes et aversion<ref> Ni dans les articles des journaux, ni dans les discours des Chambres, on ne trouve pendant les quinze jours d’interrègne aucune motion en faveur de la République aucune allusion même à la possibilité d’un gouvernement républicain. Les rares hommes politiques restés républicains de sentiment redoutaient le retour de jours sanglans et pensaient que la proclamation de la République équivaudrait à une nouvelle déclaration de guerre à l’Europe monarchique. « Il y a bien quelques républicains dans la Chambre, écrivait le 29 juin l’architecte Philippe Héron à un ami ; mais le l’établissement de la République est impossible. Cette forme de gouvernement fait peur. Elle a été chez nous le prétexte de je ne sais combien d’horreurs, » Dans la séance du 22 juin, la proposition de Dupin que la Chambre se déclarât Assemblée nationale et la proposition de Mourgues que la Chambre se déclarât Assemblée constituante avaient été accueillies par des murmures unanimes et les cris : l’ordre du jour ! Et cependant une Assemblée nationale ou une Constituante n’impliquaient pas l’établissement de la République, mais on pouvait appréhender ce résultat. Le 28 juin, lorsque l’ex-conventionnel Gamon conjura la Chambre de voter la constitution de 1791, il fit remarquer bien expressément que cette Constitution voulait un roi, et que lui-même, au nom du peuple français, demandait « un roi, un roi constitutionnel, un roi juste et bon qui fît exécuter religieusement la Constitution et qui donnât à l’Europe la garantie d’une longue paix. » Sa proposition, que d’assez nombreux députés regardèrent comme une manifestation royaliste, fut renvoyée à la Commission de constitution.
Au reste, pour juger de l’opinion sur la République en 1815, il n’y a qu’à se reporter à ces paroles de Manuel dans son célèbre discours du 23 juin dont il va être parlé : « Je ne vois rien qui donne lieu de penser que le parti républicain existe, soit dans des têtes encore dépourvues d’expérience, soit dans celles que l’expérience a mûries. » </ef>.