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que grossissaient des soldats, des fédérés en uniforme, des officiers à la demi-solde, se succédaient sans relâche aux abords de l’Elysée pour engager l’Empereur, par les cris et les ovations, à reprendre le commandement. « Jamais le peuple, dit un étudiant en droit, témoin de ces jours troublés, jamais le peuple qui paye et qui se bat, ne lui avait montré plus d’attachement. » Napoléon entendait ces acclamations avec quelques tressaillemens au cœur mais sans espérance. Il ne voulait pas se servir de si dangereux auxiliaires, il ne voulait pas retremper son glaive impérial au feu de la guerre civile. Une députation de fédérés ayant pénétré dans la cour de l’Elysée, Napoléon parut à une fenêtre. « Qu’on nous donne des armes ! crièrent ces hommes, nous soutiendrons notre Empereur ! » — « Vous aurez des armes, dit l’Empereur, mais c’est contre l’ennemi qu’il faut vous en servir. » Quelques heures plus tard, comme il se promenait dans le jardin, il vit accourir à lui, se jeter à ses genoux, et embrasser les pans de son uniforme un officier qui d’un bond avait franchi le saut de loup. Cet ardent jeune homme venait le supplier, au nom de tous ses camarades du régiment, de se mettre à la tête de l’armée. L’Empereur le releva en lui pinçant l’oreille avec bonté. « Allez, dit-il. Rejoignez votre poste. »

Malgré la retenue de l’Empereur, Fouché ne laissait pas d’être inquiet. Dès l’après-midi du 23 juin, il avait fait distribuer de l’argent pour empêcher de crier : Vive l’Empereur ! On empochait l’argent, et cinq minutes après on criait de plus belle. Il avait aussi donné des instructions pour que des patrouilles de garde nationale dissipassent les rassemblemens, sans toutefois faire usage des armes. La foule s’éloignait en grondant, puis, le détachement passé, elle revenait dans l’avenue de Marigny. Ne pouvant arrêter ces manifestations, Fouché s’avisa d’en éloigner l’objet. Il n’y avait qu’à engager ou à contraindre l’Empereur à partir pour la Malmaison, Le 24 juin, le représentant Duchesne, inspiré par Fouché, demanda en séance que « l’ex-empereur fût invité au nom de la patrie, à quitter la capitale où sa présence ne pouvait plus être qu’un prétexte de trouble et une occasion de danger public. » Aussitôt, le duc d’Otrante chargea Davout d’aller voir l’Empereur pour l’engager à se retirer à la Malmaison. En arrivant dans la cour de l’Elysée, Davout y vit un grand nombre d’officiers, « qui faisaient étalage, dit-il, de leurs beaux sentimens et de leur inutile jactance. » Il les apostropha durement,