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leur belle forme ; leurs jambes qui, avec le temps, vont se momifier dans la pose éternellement repliée, sont grasses et un peu féminines. Ces dessins rouges, qui sont peints pour signifier Çiva, sur leurs fronts couverts de poudre, devraient rappeler le visage des pitres ; mais on n’y songe même pas, tant le regard est grave.

Derrière eux, sous l’abri de chaume, on voit luire, bien nets et bien en ordre, les ustensiles de cuivre qui servent à leurs ablutions de chaque matin et à leur diner frugal. Et au-dessus de leur tête, les branches mortes qui s’étendent, sont un rendez-vous d’oiseaux ; perruches, tourterelles, paons magnifiques, ou tout petits chanteurs emplumés, que tant de sécheresse déroute, viennent picorer les graines de riz laissées pour eux, après le repas des trois sages.

Le passant qui s’arrête devant les trois fakirs et leur adresse la parole est parfois invité, d’un geste et d’un sourire distrait, à s’asseoir à l’ombre de leur toit ; mais la terre est balayée là si soigneusement, qu’ils prient qu’on ait soin de retirer ses chaussures avant de s’approcher. Ensuite leurs yeux se perdent à nouveau dans le rêve ; vous vous en allez quand vous voulez, ils ne vous parlent plus et cessent même de vous voir.

Ce lac, au milieu du bois, appartient au roi d’Odeypoure ; ses palais seuls y sont reflétés, et aussi quelques vieux temples aux blancheurs éternelles ; dans les deux îlots du milieu, des palais encore, et des jardins murés ; partout ailleurs sur la rive, c’est le fouillis des broussailles, l’enlacement des arbres. Et les très hautes et abruptes montagnes, tapissées de forêts mourantes, enferment le lieu de toutes parts, avec çà et là, au sommet de quelque cime pointue, l’éclat blanc d’une petite citadelle d’autrefois, d’un petit sanctuaire brahmanique plus haut perché que les aigles. Juste au bord des eaux qui baissent chaque jour, une teinte verte persiste aux branches ; autrement, n’importe où l’on regarde, c’est, dirait-on, la rouille de l’arrière-automne, ou les grisailles de l’hiver.


Pour la première fois, aujourd’hui, j’ai vu vraiment remuer l’un des trois fakirs.

J’étais entré dans le bois charmant à l’heure du coucher du soleil, — l’heure où, sur l’autre rive du lac, au-dessus d’une maison abandonnée qui appartient au Maharajah, s’élève toujours