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la même colonne d’épaisse fumée. (Un simple tourbillon de poussière, soulevé par le piétinement des sangliers d’alentour ; il en vient des centaines chaque soir, se ruer là pour manger le maïs qu’on leur jette du haut des fenêtres, de la part du roi, depuis que la jungle se meurt.)

Donc, l’un des trois fakirs s’est levé, pour aller chercher derrière lui un miroir, de la poudre, du carmin ; ensuite, ayant repris sa pose hiératique, les jambes croisées, il a reblanchi son visage et repeint soigneusement le signe de Çiva sur son front. Il n’y avait personne, que les paons et les tourterelles, ralliant de tous côtés pour le repas du soir. Alors, à la tombée du crépuscule, pour faire honneur à qui, cette toilette ?...

Cependant on entendait là-bas, sous le couvert des branches, le galop, très vite rapproché, d’une troupe de chevaux. Or, c’était le roi qui passait avec une trentaine de personnages de sa cour. De jolis chevaux harnachés de mille couleurs. Tous les cavaliers, vêtus de blanc, leur taille svelte, prise dans de longues robes. Des barbes, des moustaches très retroussées en l’air, à la mode d’Odeypoure, donnant quelque chose du chat à toutes ces figures de camée, d’un bronze pâle, à la fois très fines et très viriles.

Et le roi galopait à la tête de son escorte, la barbe en chat, lui aussi, le visage, l’allure, d’une beauté et d’une distinction parfaites.

En les regardant s’éloigner dans l’allée sans feuilles, on songeait à quelque chevauchée de notre moyen âge occidental, quelque prince ou quelque duc, suivi de ses chevaliers et de ses barons, revenant de la chasse, en automne, un beau soir des siècles passés...


PIERRE LOTI.