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30 janvier. — Maurice est atteint d’une grave congestion. Il n’y a pas un sinapisme dans toute la ville.

8 février. — Les heures critiques semblent passées. L’Angleterre envoie un consul, le capitaine Bullmann. Il affirme être sûr que les massacres vont recommencer. Lui, il est garçon, il a fait, dit-il, le sacrifice de sa vie ; mais nous, nous devrions partir. Mon mari essaie de lui démontrer qu’il se trompe.

…………………

Son collègue des Etats-Unis va demander un long congé.

10 mars. — Notre ravitaillement devient d’une difficulté incroyable. Les cawas et moi, faisons vingt courses pour découvrir une paire de poulets, un chevreau, des fèves. Et puis, quand je rentre, c’est pour apprendre du cuisinier que Monsieur a fait débrocher le poulet pour le donner à une troupe de malheureuses, — il y a tant de maisons où il n’y a plus un seul homme, et les Arméniens riches sont si peu charitables ! Je gronde Maurice, lui déclare que c’est de la folie, que je n’ai plus d’argent, et il recommence.

Maurice a reçu du ministre une médaille d’or de sauvetage. Il en est très fier.

Il a reçu aussi du Saint-Père un cordon de Saint-Grégoire et un autre pour Panayoti. Il paraît que le vali demande pour moi à Yildiz Kiosk un chefakat. Je croyais que c’était... un objet d’art, il paraît que c’est une décoration pour les femmes.

Jusqu’à bébé, qui décore sa mâchoire avec quatre autres jolies quenottes et cherche à se mettre gentiment sur ses pattes !

11 mars. — Maurice, chaque semaine, réclame au vali une escorte pour conduire Karakine à Samsoun. Le vali refusait toujours : cette fois l’ambassade s’en mêle, et voici une troupe de cavaliers devant notre porte, qui attend.

Karakine n’est guère rassuré. Une escorte ! Si le consul qu’elle accompagne ou sa femme étaient tués, elle serait fusillée, c’est connu ; mais un Arménien ! Cela compte si peu ! Les zaptiés raconteront une histoire d’accident quelconque, et cela fera le compte.

Aussi Maurice s’en va-t-il chez le vali, et il lui déclare que M. Cambon a obtenu un firman disant que, si Karakine n’arrive pas vivant à Samsoun, le vali sera exilé au Yemen. L’exil au Yemen équivalant à la mort au fond d’une oubliette, le vali, qui prend peur, s’empresse de donner des ordres à la troupe. Karakine