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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/45

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qui l’avait rendue inévitable. Tout l’odieux en retombait sur les étrangers et sur les Bourbons, leurs protégés. On disait que charbonnier est maître chez lui ; la fierté française se révoltait à la pensée que les puissances prétendaient imposer un gouvernement au peuple de la Révolution. Plus on aimait la paix, plus on était animé contre ceux qui la troublaient pour d’insolentes raisons. La menace d’une nouvelle invasion ralliait les esprits à Napoléon, car on voyait toujours en lui l’épée de la France.

S’ils dominaient dans la masse de la population, ces sentimens n’y régnaient pas sans partage. Les royalistes continuaient d’espérer et d’agir. Ils ne se bornaient pas à souhaiter la défaite de l’Empereur ; ils le combattaient par tous les moyens en leur pouvoir : fausses nouvelles, propos alarmans, chansons, pamphlets, menaces aux fonctionnaires, appels à la désertion, tentatives corruptrices, embauchages, séditions, prises d’armes. Marseille, Bordeaux, Toulouse, Caen, le Havre, étaient agités. Dans l’Aveyron, la Lozère, le Gard, le Vaucluse, l’Orne, la Sarthe, des bandes d’insurgés et de réfractaires escarmouchaient contre les gendarmes et les colonnes mobiles. L’armée vendéenne, qui s’était dispersée à la mort de Louis de La Rochejaquelein, se reformait sous le commandement de Sapinaud. Les principaux chefs, d’Autichamp, Suzannet, Auguste de La Rochejaquelein, Saint-Hubert, rassemblaient de nouveau leurs paysans pour les mener à la rencontre des troupes de Travot et de Lamarque. Sur la rive droite de la Loire, les chouans de Sol de Grisolles se concentraient à Auray au nombre de quatre à cinq mille.

A côté des royalistes, il y avait les constitutionnels de profession et les libéraux de carrière ; à côté des petites armées de Vendéens et de chouans, il y avait la Chambre. Sans doute, les libéraux n’étaient pas disposés à prendre le fusil comme les Vendéens, et ils ne faisaient point de vœux, comme les royalistes, pour le succès des alliés. Mais ils n’envisageaient pas sans appréhension de nouvelles victoires napoléoniennes. Par delà la lutte entre l’Europe et la France, ils voyaient la lutte entre ; l’Empereur et la liberté. Ils redoutaient que le triomphe de la France par l’épée de Napoléon n’eût pour conséquence le retour au despotisme. Tel était chez quelques-uns l’attachement aux idées libérales qu’ils en arrivaient à se demander s’il ne fallait pas préférer encore la victoire de l’étranger à la perte des libertés