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publiques. La plupart d’entre eux, cédant à l’instinct du patriotisme, souhaitaient tout de même des succès aux frontières, mais c’était l’esprit contraint et avec plus de résignation que d’ardeur. « On éprouve une vive douleur, écrivait La Fayette, dans une lettre intime, en pensant qu’on ne peut, dans les circonstances présentes, s’abstenir de porter secours à l’Empereur. » Ces sentimens dominaient dans la Chambre. La grande majorité des représentans ne voyaient en Napoléon que le moindre de deux maux. Elle le subissait comme une condition de l’état de guerre ; elle n’était bonapartiste que dans le sens de la défense du pays. En cette assemblée de six cents députés, on n’en aurait pas trouvé cent sincèrement dévoués à la personne de l’Empereur et partisans convaincus du régime impérial. « J’ai bien moins d’inquiétudes, écrivait, le 17 juin, Sismondi à sa mère, sur les opérations militaires que sur la conduite de la Chambre. Elle est tout à fait déraisonnable. Jusqu’à présent, elle ne me donne que de la crainte. »

La Chambre des pairs jugeait de bon goût et de politique habile de se modeler sur l’esprit de la Chambre des représentans. Les pairs tenaient leur nomination de la seule volonté de l’Empereur et, pour la plupart, ils se trouvaient fort heureux de siéger au Luxembourg, mais ils se gardaient bien de témoigner leur reconnaissance et de manifester leur dévouement. (Il est juste de dire que le plus grand nombre des officiers généraux membres de la Chambre haute avaient rejoint les armées.) Les pairs étaient déterminés à rivaliser de libéralisme avec les représentans. Ces hommes qui presque tous avaient fait partie du servile Sénat impérial voulaient désormais étonner le monde par leur indépendance. Si Napoléon, ayant reçu de la victoire une nouvelle investiture, avait seulement levé « le vieux bras de l’Empereur » selon son expression, sans doute leur volonté eût fléchi. Les députés, eux aussi, se fussent vraisemblablement montrés moins revêches. Mais qu’advinssent des revers, Napoléon aurait tout à craindre de la Chambre des représentans et rien à espérer de la Chambre des pairs.

Le 18 juin, Paris fut réveillé par le canon des Invalides. On courut aux Tuileries, au Palais-Royal, à la place Vendôme pour avoir des nouvelles de la victoire. Enfin le Moniteur parut. Il y avait une dépêche de six lignes, datée du 16 juin, au soir, annonçant que l’Empereur venait de remporter en avant de Ligny