Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/452

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bossuet. Que n’en ont-ils mieux imité la discrétion et la délicatesse ! Mais ces vertus-là, même en art, ne s’apprennent peut-être qu’à l’école dont parle Bossuet encore, « école intérieure, qui se tient dans le fond du cœur, » et que le monde, surtout le monde des théâtres, écoute peu.

Si la musique de M. Massenet, — on l’a dit avec malice, — est la fille de celle de Gounod, la musique de M. Reynaldo Hahn pourrait bien être une petite-nièce de celle de M. Massenet. La parenté se reconnaît à certain « air » de famille et même à plusieurs : à cette mélodie entre autres, avant toutes les autres : O délice douloureuse ! qui fait le thème fragile du principal duo d’amour. Par la grâce des contours, et par les détours aussi, par le rythme et le mouvement général, par les intervalles augmentés et les chutes mourantes, ce motif imite ou rappelle la manière, — et la plus maniérée, — de M. Massenet. De son professeur encore, M. Hahn a reçu le secret ou la formule de telle phrase (chantée par le Roi) qui descend et se déroule en spirale brillante. Et le sentiment, autant que le style du maître, s’est reflété sur l’œuvre de son élève. M. Hahn se plaît à mêler dans le rôle de Louise la passion et la piété, l’amour divin avec les humaines amours. On nous dira que justement le cœur de l’héroïne est bien connu pour avoir été comme le lieu d’élection de semblables rencontres et de pareils combats. Ils s’y livrèrent du moins avec plus de violence. Ici la grandeur fait également défaut à la tendresse de Mlle de la Vallière et à son repentir. Amoureuse et pénitente, elle est l’une et l’autre faiblement. Un certain degré d’élévation manque au personnage. Que la jeune fille rappelle son enfance écoulée parmi les fleurs, les oiseaux et les cantiques, ou qu’elle souhaite, pour y cacher son bonheur, un asile modeste, presque bourgeois, la musique n’a guère donné que de la mièvrerie à l’expression de ses vœux et de ses souvenirs. Ce caractère persiste jusqu’à la fin ; il apparaît, il éclate même dans l’exclamation et les transports de la professe ravie : « Épousailles ! Epousailles ! » Le début de la scène, avec l’entr’acte, avec les psalmodies (malgré la polyphonie un peu indigente), avec un soupçon de fugue, avait de la tenue, sinon de la grandeur. Tout est gâté par ce mouvement de faux lyrisme, par cette effusion mystico-amoureuse, de sentiment équivoque, et de pauvre style, dont le contraste avec la situation et le lieu rappelle un mot de Bossuet encore sur le mélange de l’esprit du siècle et de l’esprit de Dieu, sur ces « lambeaux de mondanité » qu’il ne faut pas coudre à « cette pourpre royale. »