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traits les plus originaux de son tempérament d’écrivain. Et chacun de ces essais nous offre, à sa façon, un curieux modèle d’un genre littéraire essentiellement anglais, un peu démodé à présent, mais après être resté en faveur pendant plus d’un siècle. C’est un genre qui n’est proprement ni de l’histoire, ni de la biographie, ni de la critique, mais un libre mélange de tout cela, accompagné d’une certaine dose de fantaisie personnelle. L’essayiste semble toujours admettre, comme point de départ, que ses lecteurs connaissent d’avance le sujet dont il va leur parler : de sorte qu’il s’ingénie à ne jamais leur dire, sur ce sujet, que ce qu’il croit qui va être pour eux absolument nouveau. Traite-t-il d’un poète de la Renaissance ? Il signale d’abord un détail de sa vie dont personne avant lui ne s’est aperçu ; il rectifie ensuite une erreur d’appréciation commise, au sujet de tel ou tel drame du poète, par un critique précédent ; après quoi il expose encore d’autres de ses idées, sur d’autres détails de la vie ou de l’œuvre du poète ; et volontiers il conclut par quelque paradoxe hardi ou piquant.

Et quand l’essayiste est lui-même un poète, son essai a pour nous le charme d’une gracieuse causerie, semée de belles images et de mots harmonieux. Quand il est, comme sir Leslie Stephen, à la fois un savant et un sage, son essai lui fournit l’occasion de mille petites remarques infiniment précieuses à recueillir, et qui souvent suffisent pour modifier la physionomie d’un auteur, ou pour rendre plus attrayante l’étude d’une œuvre. Mais le genre même de l’essai, si habilement qu’il soit pratiqué, garde toujours le défaut de n’être pour ainsi dire qu’un appendice, incapable d’avoir en lui seul sa raison suffisante. Toujours il suppose que nous connaissons déjà les sujets dont il se borne à « illustrer » pour nous telle ou telle partie. Et voilà sans doute pourquoi, après avoir eu depuis le XVIIIe siècle l’éclat que l’on sait, il parait aujourd’hui sinon s’éteindre, du moins se transformer en un genre plus didactique et plus impersonnel : le public anglais, sans doute, de même que notre public français, ne connaît plus assez l’œuvre de ses écrivains pour pouvoir prendre plaisir à une série d’additions ou de rectifications dont le sens et la portée, désormais, lui échappent. Il préfère que les critiques, au risque d’y perdre un peu de leur originalité individuelle, lui exposent tout au long le sujet qu’ils traitent, qu’ils se fassent résolument historiens, biographes, vulgarisateurs, qu’au lieu de voltiger plus ou moins agréablement sur une dizaine de questions diverses, relatives à Marlowe, à Pope, ou à Coleridge, ils s’en tiennent à une seule de ces questions et l’épuisent à fond. On ne saurait nier, en tout cas, que le