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Tout autour des murailles de la vieille cité s’étend, vers l’Ouest et vers le Sud, la florissante oasis de Méchya. Une riche nappe d’eau souterraine permet de suppléer à l’extrême rareté des pluies et d’irriguer de magnifiques jardins où poussent toute une forêt de palmiers et d’arbres fruitiers. L’oasis s’étend sur plus de huit kilomètres le long de la mer et sur deux à trois kilomètres de largeur ; il n’en est guère de plus riante et de plus féconde dans tout le Sahara ; elle le doit à l’industrie des nègres, soudanais d’origine et descendans d’esclaves, qui, sans se lasser jamais, font monter l’eau du fond des puits et la font glisser dans le lacis compliqué des canaux et des rigoles d’arrosage[1]. Tous les arbres à fruits de la zone méditerranéenne, orangers, citronniers, figuiers, pêchers, grenadiers, caroubiers, abricotiers, pruniers s’entrelacent en un véritable bois que dominent les fûts élancés et sveltes de plus d’un million de palmiers ; sous leur ombre poussent les légumes d’Europe et mûrissent des champs de blé, d’orge, de maïs, de sorgho. Les cabanes des noirs se cachent sous le feuillage ; les Européens y habitent de charmantes et fraîches villas ; les fonctionnaires et les officiers turcs dissimulent, sous le discret abri des palmiers et des orangers, leurs sérails, où, parmi les roses et les jasmins, s’ébattent les belles filles de la Circassie ou de Galata.

Toute une ville de toile et de bois échelonne ses baraques croulantes et ses tentes délabrées à côté de la ville de pierre : ce sont les camps turcs, où des milliers de soldats attendent, sans se plaindre, que le Sultan soit assez riche pour leur faire bâtir des casernes. Fantassins, cavaliers, artilleurs, presque tout le corps d’armée ottoman de la Tripolitaine est concentré là ou dans les environs ; il ne détache que quelques bataillons au Fezzan, à Rhadamès, à Rhât, vers la frontière tunisienne et en Cyrénaïque. Les soldats, à peine nourris, vêtus souvent de guenilles, et rarement payés, n’ont pas, à première vue, un aspect très martial ni une mine très fière ; les garnisons tripolitaines sont redoutées des officiers et réservées à ceux qui encourent la disgrâce du maître ; mais, si les uniformes sont rapiécés et les ceinturons rattachés avec des ficelles, les fusils sont bons et les canons modernes ; et surtout, il y a, chez le Turc, l’instinct du

  1. Sur les procédés d’arrosage, sur le régime des eaux et les formes de la propriété dans les régions désertiques de l’Afrique du Nord, voyez le récent livre de M. Jean Brunhes : L’Irrigation ; 1 vol. in-8o illustré ; Carré et Naud.