soldat, la tradition militaire. Ces hommes qui se livrent à toute sorte de métiers pour augmenter leur maigre pitance ont cependant cette vertu militaire essentielle sans laquelle il n’est pas d’armée : ils savent mourir ; ils défendraient jusqu’au dernier, comme les héros de Plewna, le poste que le Commandeur des croyans confie à leur fidélité et à leur ferveur musulmane. L’armée turque de Tripoli est une force.
La ville n’a pas, pour le moment, à repousser une invasion étrangère ; mais l’oasis a, en revanche, à refouler sans cesse l’assaut toujours renouvelé des sables soulevés par le vent du désert. La poussière, peu à peu, gagne sur la verdure, et c’est, entre les cultures et la marche irrésistible des dunes, une lutte de tous les jours, où l’industrie de l’homme n’est pas toujours victorieuse. Dès que l’on a quitté l’ombrage des derniers palmiers, on est, sans transition, dans le désert, qui s’étend indéfiniment, le long du littoral, vers l’Est et vers l’Ouest, sur plus de 1 500 kilomètres de côtes, et, vers le Sud, à des centaines de lieues, jusqu’aux confins du Soudan. Tripoli est la seule grande ville, le seul port fréquenté des Syrtes ; de là, jusqu’à Zarzis, le premier poste tunisien, c’est à peine si quelques pauvres oasis interrompent la monotonie des solitudes. Parallèlement à la côte, à une centaine de kilomètres, s’allonge la falaise qui forme le rebord du plateau saharien ; de très curieux villages, creusés dans le rocher, habités par des troglodytes, descendans directs, selon toute vraisemblance, de ces Garamantes si bien décrits par Hérodote, se blottissent dans les replis du Djebel Nefousa et du Djebel Rharian. Vers l’Est, la côte n’est ni plus fertile, ni plus peuplée : de mauvais petits ports, comme Lebda, l’ancienne Leptis major, si célèbre autrefois et qui vit naître Septime-Sévère, Mesrata, Khoms, reçoivent parfois la visite de quelque bateau anglais, qui y charge de l’alfa ; une population misérable et clairsemée y vit de la pêche et des médiocres profits d’un commerce languissant.
Ainsi Tripoli n’est pas le centre de quelque riche terroir ; l’oasis qui l’entoure est loin de suffire à la nourriture de ses habitans ; elle ne doit sa prospérité relative qu’à ses privilèges de capitale ottomane et à sa situation, qui fait d’elle un port de la Méditerranée, et le point d’aboutissement des caravanes du désert. Pour trouver quelques cantons bien arrosés et fertiles, il faut aller jusque dans le vilayet de Cyrénaïque.