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allemandes), il ne lui avait jamais pardonné de s’être fait proclamer Consul à vie, puis Empereur. Le retour de l’île d’Elbe, malgré le rétablissement de la cocarde « qu’il avait instituée, » ne lui avait inspiré, selon son expression encore, que « des vœux contre le destructeur de toutes les idées libérales. » Elu député sur son refus d’accepter la pairie que lui faisait offrir Napoléon, il s’était mis à la tête de l’opposition parlementaire ; et il y a des indices que, peu de jours avant le Champ de Mai, il avait été du groupe de députés qui firent des ouvertures à Fouché et à Carnot en vue de profiter de cette « ridicule cérémonie » pour déposer l’Empereur. Après Waterloo, l’entreprise était plus facile. La Fayette s’y dévoua. Bien entendu, il croyait, avec une naïveté imbécile, que les alliés « qui ne faisaient la guerre qu’à Napoléon, » rentreraient chez eux à la première nouvelle de la déchéance et laisseraient la France libre d’installer le meilleur des gouvernemens constitutionnels sous le sceptre du souverain qui agréerait le plus à lui, La Fayette. Pour le cas où l’Europe s’aviserait de continuer la guerre, La Fayette avait d’autres illusions à son service. Il s’imaginait que la chute de l’Empire « rendrait son élasticité à la nation qui repousserait alors la coalition des rois avec cette énergie populaire que Bonaparte n’avait plus le droit ni le pouvoir d’exciter. »

Déjà mis en garde par Fouché et ses émissaires contre le prétendu projet de l’Empereur de dissoudre la Chambre pour prendre la dictature, La Fayette eut la confirmation de ces desseins par Regnaud lui-même qui venait de quitter le Conseil de l’Elysée[1]. Il fallait gagner Napoléon de vitesse. La Fayette se concerta avec Lanjuinais qui, bien qu’il ne fût encore que midi un quart, se pressa d’ouvrir la séance.

Pendant la lecture du procès-verbal, les députés assis à leurs bancs ou debout sur les degrés de l’hémicycle continuaient de parler avec la même véhémence que dans les couloirs. Un bruit

  1. La Fayette à Mme d’Hénin, Paris, 29 juin 1815.
    Il est difficile de révoquer en doute cette assertion précise d’une lettre écrite par La Fayette huit jours après les événemens et où il n’avait aucun intérêt à compromettre ou à faire valoir Regnaud. On peut dire que Regnaud, persuadé que l’Empereur était condamné de toute façon et s’imaginant que l’abdication assurerait la couronne au Prince impérial tandis qu’une tentative contre la Chambre perdrait Napoléon Ier avec Napoléon Ier, crut devoir employer tous les moyens pour paralyser son souverain. L’Empereur a dit, à Sainte-Hélène : « Regnaud m’a trahi un des premiers. "