Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/592

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

longtemps qu’il ne faudrait pour faire mettre les chevaux à son propre carrosse. »

Cet avis de la compagnie chargée de l’exploitation supposait que ces ancêtres de nos omnibus ne seraient jamais complets. Le nombre des places n’était cependant que de huit. Il fut créé cinq lignes, desservies chacune par sept carrosses, dont les cochers et « laquais, » chargés d’effectuer la recette, portaient des casaques diversement galonnées, suivant les routes, avec les armes de la ville en broderie sur la poitrine. Les commissaires du Châtelet, en robe, assistés d’archers à cheval, présidèrent à l’inauguration, « avec une pompe merveilleuse, et remontrèrent aux bourgeois les utilités » de cet établissement. Pour plus de sûreté, un garde de M. le Grand-Prévôt se tint en permanence dans chaque voiture ; la foule encombrait les rues et « les artisans cessaient leur ouvrage pour les regarder. »

Mme Périer, qui voulait juger en personne de l’effet des « carrosses à cinq sols, » constate qu’ « il y monta même des femmes. » Elle aussi prétendit en prendre un et attendit, rue de la Verrerie, celui qui allait du Luxembourg à la Porte-Saint-Antoine, par les rues de Tournon, Dauphine, Saint-Denis et des Lombards ; mais elle eut le déplaisir d’en voir passer cinq, tous pleins, devant elle. L’institution, critiquée et ridiculisée par les uns, applaudie et encouragée par d’autres, par le Duc d’Enghien notamment qui s’en servit un jour, et par le Roi, qui fit venir l’un de ces omnibus à Saint-Germain et le prit pour se rendre chez la Reine Mère, l’institution, qui s’annonçait avec un succès tel que le prix des places avait été porté de 5 à 6 sous, cessât-elle d’être rémunératrice ? La clientèle fit-elle défaut ? Toujours est-il que les détenteurs du privilège le vendirent en 1691, de leur plein gré, aux propriétaires des voitures de place.

Dans la pensée de ses créateurs, le monopole de transport public qui leur était concédé ne devait comporter aucune restriction, quant à la qualité des voyageurs. Mais le Parlement, en enregistrant les lettres patentes, y ajouta cette clause : que « les soldats, pages, laquais et autres gens de livrée, les manœuvres et travailleurs de bras, ne pourraient entrer auxdits carrosses. »

Cette exclusion valut peut-être aux nouveaux véhicules d’être hués par le populaire ; mais les catégories, ainsi exclues en principe par décret, Tétaient bien davantage, en fait, par le prix élevé des places : autant vaudrait-il dire qu’il est interdit à nos