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« Ma santé s’est bien ressentie de tout cela ; je n’ai pas une autre pensée que la Russie. Nous attendons avec impatience la fin des travaux de la commission militaire[1] ; il faut de grands exemples. Je dis avec Wellington : là où les rois savent monter à cheval et punir, il n’y a pas de révolution possible ; aussi je suis tranquille.

« J’ai vu avec un sensible plaisir, cher Alexandre, votre nom paraître sous tant de formes honorables et flatteuses[2]. Qui aurait dit, lorsque nous nous entretenions l’été passé du grand-duc Nicolas, qu’il remplirait sitôt nos prédictions ? C’est bien là le Pierre Ier et le grand homme que nous voyions dans l’avenir. Il a déjà montré tout ce qu’il est. Vous ne m’avez pas écrit un mot depuis la mort de notre cher empereur Alexandre, et je suis plus que jamais avide de lettres. Jugez combien les nouvelles de Pétersbourg doivent nous être précieuses dans ce moment ! Que fait notre belle et charmante Impératrice ? »

Quinze mois plus tard, par suite des dissentimens qui ont éclaté entre la Russie et l’empire ottoman, et que vient d’aggraver le soulèvement de la Grèce contre la Porte, nous trouvons la princesse de Liéven dans une nouvelle phase. Elle ne pense plus que du mal de Metternich ; elle ne prononce plus le nom de Wellington qu’avec raillerie et colère. N’ont-ils pas pris parti l’un et l’autre pour la Turquie contre la Russie ? C’en est assez pour déchaîner ses fureurs. Lord Liverpool, chef du cabinet, étant mort, elle use de son influence sur le Roi pour faire nommer Canning à sa place et mettre en échec, par cette nomination, Metternich et Wellington. Elle est tout entière à Canning. « C’est un homme d’un talent extraordinaire ; c’est un honnête homme ; ce n’est point du tout un Jacobin ; c’est le seul membre du cabinet qui soit bien et très bien pour la Russie… Metternich et Canning se haïssent aussi cordialement que par le passé ; le premier ne digère pas notre intimité avec l’Angleterre… Entre ces deux ministres qui se détestent, le premier n’est pas le plus coquin ; voilà une parfaite vérité. Enfin, qu’on me batte ; mais, je soutiens que nous devons aimer Canning. »

  1. On sait que le changement de règne en Russie fut marqué par une grave conspiration militaire, que l’empereur Nicolas eut à réprimer, dès son avènement, et dont il fut d’ailleurs victorieux.
  2. Alexandre de Benckendorff, qui était alors général, se distingua par son intrépidité en défendant son souverain contre les conspirateurs. C’est à sa belle conduite que sa sœur fait allusion.