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députés de la Gironde, je ne reculerai pas devant mon devoir. Avant d’émettre ma proposition, je prie le Président d’interpeller les ministres de déclarer avec franchise sils pensent que la France peut résister aux armées combinées de l’Europe, et si la présence de Napoléon n’est pas un obstacle invincible à la paix ? »

Fouché avait posé la question par la bouche de son compère Jay. Il se chargea lui-même de la réponse. Tandis que les ministres, hésitans, se consultaient du regard, le traître, sans leur laisser le temps de prendre un parti, vint à la tribune et dit négligemment que « les ministres n’avaient rien à ajouter à leurs rapports antérieurs. » Prenant acte de cette déclaration évasive, Jay montra l’armée décimée, épuisée, incapable d’opposer une résistance efficace à l’étranger, dont les forces croîtraient chaque jour, et rappela les manifestes des puissances, « qui s’étaient coalisées non contre l’indépendance de la nation française, mais contre la seule personne de Napoléon. » Encouragé par l’approbation de la Chambre, il interpella Lucien : « Vous, prince, s’écria-t-il, qui avez montré un noble caractère dans l’une et l’autre fortune, souvenez-vous que vous êtes Français, que tout doit céder à l’amour de la patrie. Retournez vers votre frère, dites-lui que l’Assemblée des représentans du peuple attend de lui une résolution qui lui fera plus d’honneur dans l’avenir que ses nombreuses victoires ; dites-lui qu’en abdiquant le pouvoir, il peut sauver la France, qui a fait pour lui de si grands et de si pénibles sacrifices. »

Le coup était porté. Lucien tenta d’y parer. Il opposa aux paroles de Jay sur la désorganisation de l’armée le tableau des ressources qui restaient en hommes et en matériel. « Quant à l’étranger, conclut-il, quelle confiance pouvez-vous avoir dans ses déclarations. Ils ne combattent, disent-ils, que contre l’Empereur. Quelle dérision ! C’est pour envahir la France, c’est pour se partager ses provinces que les puissances se sont armées. Je le répète, ce n’est pas Napoléon que l’Europe veut attaquer, c’est la nation française. Et on propose à la France d’abandonner son Empereur ! On l’exposerait devant le tribunal des peuples à un jugement sévère sur son inconstance et sa légèreté. » À ces mots, La Fayette se lève et s’écrie avec véhémence : « C’est une assertion calomnieuse ! Comment a-t-on osé accuser la nation d’avoir été légère et peu persévérante à l’égard de Napoléon ? Elle l’a suivi