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dans les sables d’Egypte et dans les déserts de Russie. Et c’est pour l’avoir suivi qu’elle a à regretter le sang de trois millions de Français ! »

Le discours de Lucien, très habile et très éloquent, avait presque ramené l’Assemblée ; sa dernière phrase, qui provoqua la dure réponse de La Fayette, ruina tout l’effet obtenu. Le prince, interdit, ne trouva rien à répliquer. Manuel, Dupin, Lacoste, Girod de l’Ain parlèrent dans le même sens que Jay, appuyant plus ou moins sa motion qu’une députation fût envoyée à l’Empereur pour lui demander d’abdiquer et lui signifier que, s’il s’y refusait, on prononcerait la déchéance. Bien que gagnés à cette proposition, les députés reculèrent au moment de l’adopter ; d’un accord tacite, elle fut temporairement écartée sans être mise aux voix. Comme mesure provisoire, on décida la nomination d’une commission de cinq membres de chaque Chambre pour être associée aux délibérations du conseil des ministres.

La séance redevenue publique à huit heures du soir, la Chambre arrêta que ses délégués seraient son président, Lanjuinais, et ses quatre vice-présidens La Fayette, Flaugergues, Dupont de l’Eure et le général Grenier. Entre temps, Davout crut devoir faire cette déclaration à la tribune : « J’apprends que des malveillans font courir le bruit que j’ai fait avancer des troupes pour cerner l’Assemblée. Ce bruit est injurieux à l’Empereur et à son ministre, qui est bon Français. » De son côté, le général Durosnel, commandant en second la garde nationale, rédigea, sans en référer à l’Empereur ni au ministre de l’Intérieur, un ordre du jour commençant par ces mots : « Au moment où les Chambres vont délibérer sur les moyens de sauver la patrie, il faut que leurs délibérations puissent être calmes ; en conséquence, les postes de la garde nationale y seront doublés, et MM. les chefs de légion tiendront dans chaque mairie une réserve commandée par un capitaine, pour se porter partout où le besoin pourrait l’exiger. » Ces déclarations, ces mesures protectrices, ces adhésions détournées, tout cela n’était point fait, il s’en fallait, pour fléchir l’opposition factieuse des députés.

Du Corps législatif, Lucien et les ministres se rendirent à huit heures et demie à la Chambre des pairs, qui se forma en comité secret. La séance fut très courte. Les commissaires de l’Empereur se bornèrent à lire le message et à inviter la Chambre haute à désigner ses cinq délégués au conseil des ministres. On