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considérait peu Blücher qu’il jugeait trop dépendant de son entourage. Il avait travaillé après Bautzen à le faire écarter du commandement. « York, dit de lui Langeron, est un homme d’un grand caractère, d’une intrépidité héroïque au feu. Il a, de plus, de grands talens militaires. Il a prouvé qu’il avait autant d’esprit que d’énergie, en se séparant du maréchal Macdonald en Courlande. Mais il est d’un caractère dur, intraitable ; il est violent, haineux et grossier, et il est difficile de l’avoir comme camarade et comme subordonné. »

Les circonstances n’étaient pas faites pour estomper ces traits de caractère qui étaient ceux de tant de Prussiens d’origine à cette époque : York était aigri par les épreuves récentes qu’il avait traversées. Il ne voyait partout qu’hostilité systématique, mesures dirigées contre lui. Et, de fait, si son humeur atrabilaire le portait à se croire persécuté, sa susceptibilité n’était point tout à fait sans fondement. À cette date encore, Frédéric-Guillaume III, fermé aux plus élémentaires inspirations du sentiment national, ne lui pardonnait ni son action dans la Prusse orientale, ni la capitulation de Tauroggen.

Le 4 août, vers la fin de l’armistice, les souverains passèrent, à Rogau, la revue du corps prussien, et York se plaignant au Roi du mauvais état de ses troupes et du manque de souliers, Frédéric-Guillaume lui répondit : « J’en suis bien au regret, mais c’est vous qui avez voulu la guerre et tout mis en branle. » On n’avait pas traité son corps avec faveur : la proportion des landwehrs y était plus forte que dans chacun des autres corps prussiens. On lui avait refusé ses aides de camp favoris ; et il avait presque considéré comme une offense personnelle qu’on eût désigné, pour commander l’une de ses brigades, le prince Charles de Mecklenburg, le frère de la reine Louise. Le prince avait conservé, depuis 1806, un mauvais renom militaire, et York le regardait comme une sorte d’espion officiel.

Les conflits, si bien préparés par tant de jalousies, d’inimitiés personnelles ou nationales, ne se firent pas attendre : ils éclatèrent dès les premiers jours, rendus plus violens par une divergence complète de vues sur la direction même des opérations militaires, entre Blücher, Gneisenau, l’état-major de l’armée d’une part, les commandans de corps d’armée de l’autre.