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chanté. Quelquefois il entend sans voir[1]. Les oraisons, les hymnes, les psaumes, les béatitudes sont mélodie. Un récit même de la Genèse : l’histoire du Paradis terrestre, devient une canzone sur les lèvres de Matelda, la gentille dame qui va seulette, « come donna innamorata, » et marche le long d’un ruisseau, cueillant des fleurs et chantant : « Beati quorum tecta sunt peccata. » Dante a fait chanter les princes, les rois et les empereurs : ceux du moyen âge et ceux, y compris Justinien, des premiers siècles ou de l’antiquité. Il a fait chanter les prophètes, les apôtres et les anges ; les vertus cardinales et théologales : une au moins de celles-ci, la charité, sans doute parce que plus encore que les deux autres elle est sentiment et que le sentiment forme l’essence de la musique. Un concert s’élève après que Dante, interrogé sur l’espérance par saint Jacques et sur l’amour par saint Jean l’Evangéliste, a répondu, et saint Pierre, l’ayant interrogé sur la foi, l’illumine à trois reprises de sa propre clarté et le bénit en chantant.

Que d’ombres, ou plutôt que de lumières chantantes, le poète rencontre et salue ! Au dire de ses biographes, il avait connu les meilleurs musiciens de son siècle[2]. Dans le Purgatoire et dans le Paradis — car il n’en mit pas un seul en Enfer — il est heureux de les retrouver et de les écouter encore. Voici Belacqua, le fameux luthier, dont l’habileté n’eut d’égale que la paresse. Au seuil du Paradis, il attend son salut éternel, dont il a trop différé le soin quand il était sur la terre et qu’il remettait jusqu’au dernier moment les utiles soupirs (Perche indugiai al fin il buon sospiri). Plus heureux et déjà sauvé, voici Folchetto, l’amoureux trouvère de Provence, dont la voix réjouit le ciel, mêlée aux cantiques des Séraphins, « ces flammes pieuses qui se font un manteau de leurs ailes. » Le Purgatoire garde encore un autre troubadour, Arnaldo Daniello, qui se nomme à Dante en ce vers provençal, adorable de musique et de mélancolie : Jeu sui Arnaut, que plore et vai chantan.

Est-il enfin, dans la Divine Comédie, une plus douce et plus

  1.  ::E verso noi volar furon sentiti,
    Non però visti, spiriti, parlando
    Alla mensa d’amor cortesi inviti. (Purgat., XIII.)
  2. « Dante sommamente si dilettò in suoni ed in canti nella sua giovinezza, e ciascuno che a quei tempi era ottimo cantore e suonatore fu suo ainico ed ebbe sua usanza. »
    (Boccace, Vita di Dante.)