Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/916

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

anesthésiques agissent de cette façon. Les premières vapeurs de chloroforme qui arrivent au cerveau l’animent avant d’en éteindre l’activité. Avec l’éther, la période d’agitation qui précède l’inertie est extrêmement marquée ; elle l’est au point que le chirurgien est empêché plus ou moins longtemps d’exercer son office. La même chose se produit dans l’action de la plupart des substances toxiques et médicamenteuses, sur la plupart des tissus et des élémens anatomiques. Ces agens sont excitans au début, à faible dose ; ils sont paralysans, destructeurs de l’activité vitale à dose plus forte.

C’est précisément l’histoire de l’alcool. Il fait éprouver au début une excitation agréable, accompagnée d’une sensation de bien-être ; il engendre une disposition de l’esprit vers les images gaies et riantes, il fait naître le sentiment d’une vitalité plus intense. C’est cette impression bienfaisante que le buveur recherche. Mais il poursuit un vain mirage, car cette excitation ne se mesure pas ; elle est bientôt dépassée. Elle se transforme en exaltation, en incohérence intellectuelle ; et s’accompagne d’émotions violentes ou tristes, de colère ou de sensiblerie. Tel est le tableau de l’ivresse. — À cette période d’excitation passagère succède bientôt la prostration, le sommeil de plomb, l’obtusion des sens, l’abaissement de la température, l’alanguissement des fonctions ; en un mot, la torpeur de l’ivrogne qui « cuve son vin. » Si le buveur récidive, les traits du tableau changent un peu. A mesure que l’habitude s’établit, la période initiale s’abrège, et l’homme arrive presque d’emblée à la prostration alcoolique.

On est donc également eu droit de dire de l’alcool qu’il est un excitant et qu’il est un agent de dépression. Si la dose est forte, l’ingestion brusque, c’est la dépression qui domine la scène. On a soulevé la question de savoir si l’alcool peut remplir le premier de ces rôles sans aboutir au second : s’il existe une excitation bienfaisante qui ne soit point compensée par la dépression finale. Ce qui est certain, c’est que la profondeur de l’état comateux est en proportion de la quantité de liqueur enivrante qui a été absorbée. La dose optima, c’est-à-dire telle que les effets nocifs sont insignifians, tandis que le bienfait d’une excitation modérée subsisterait, correspond à une faible quantité de liqueur diluée dans une assez grande masse d’alimens.