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II

L’alcool n’est pas seulement l’excitant de choix recherché par une grande partie de l’humanité ; il est aussi un médicament : pendant des siècles, il n’a été que cela. Il est né dans quelque officine arabe où, à l’aide d’une cornue improvisée, la distillation du vin fut pratiquée pour la première fois vers le Xe siècle. Il est resté jusqu’au XVIe siècle une préparation pharmaceutique dont les apothicaires avaient le monopole. Ceux-ci, en 1514, partagèrent leur privilège avec la corporation des vinaigriers d’où sortit bientôt la corporation des distillateurs. — Arnaud de Villeneuve et les premiers médecins qui en firent usage, lui attribuèrent des vertus merveilleuses, parmi lesquelles le pouvoir « de retarder la vieillesse et de nourrir la jeunesse. » D’où le surnom d’eau-de-vie qui remplaça le nom arabe d’alcool.

La propriété que possède cette eau-de-vie, employée à dose convenable, d’exciter le système nerveux, d’activer la circulation, d’élever la température, explique qu’elle se soit maintenue jusque dans la pharmacopée moderne. En 1860, un médecin anglais bien connu, R. B. Todd, essaya d’en systématiser l’emploi dans le traitement des maladies fébriles et inflammatoires ; et, en même temps, un médecin de Paris, Béhier, en conseillait l’usage dans les maladies où il se produit une dépression considérable des forces. La potion de Todd, qui n’est autre chose qu’une dilution d’alcool, a été fort employée pendant longtemps et elle subsiste encore dans l’arsenal thérapeutique. Mais l’alcool est encore employé sous d’autres formes, et par exemple, comme excipient et dissolvant. Les antialcoolistes et, notamment le docteur Legrain, président de l’Union antialcoolique se sont élevés contre cet usage abusif qu’ils appellent « l’alcoolâtrie thérapeutique. » M. L. Jacquet a fait ressortir l’énormité des dépenses qu’il impose chaque année à l’Assistance publique. Récemment un conseiller municipal, M. Ranson, signalait l’augmentation inquiétante de la consommation d’alcool dans les hôpitaux de Paris. Elle a atteint, en 1901, le chiffre excessif de 500 hectolitres de rhum et de 620 hectolitres d’alcool.

Après l’alcool-excitant, l’alcool-médicament, il nous faut examiner l’alcool-poison. Les antialcoolistes prétendent que l’alcool est toujours un poison et qu’il n’est pas autre chose