elle est fêtée par les vaincus de Zurich, d’Austerlitz, d’Iéna, d’Eylau, de Friedland. Elle est écoutée d’Alexandre, qu’elle peut renseigner sur les avantages qu’il retirerait de l’appui du prince royal de Suède, et à qui elle a peut-être suggéré l’idée de faire revenir Moreau d’Amérique. En Suède, elle retrouve Bernadotte, ce cadet de Gascogne qui avait si parfaitement oublié ce qu’il devait à son ancien compagnon d’armes. Elle a une part à la rédaction de la brochure Sur le Système continental, qui paraissait au début de la campagne de 1813 et contenait une invitation à la Suède de se joindre à la Russie et à l’Angleterre. Elle arrive enfin à Londres et elle y est acclamée.
M. Paul Gautier a souligné cet aspect du rôle de Mme de Staël : il y a mis trop d’insistance et de lourdeur. Il a, comme on peut le voir par le résumé que nous venons de donner, chargé le tableau et il l’a poussé au noir. Mme de Staël a sûrement, et dans toute la sincérité de son âme, cru que les intérêts de Napoléon ne pouvaient se confondre avec ceux de la France. Elle ne voyait plus en lui que l’aventurier corse, ne se recommandant ni de la tradition de l’ancienne royauté, ni des principes révolutionnaires. Il est pour elle un intrus dans l’histoire de France. Ajoutez que Mme de Staël a une excuse qui lui vient de son cosmopolitisme même. Elle est née d’un père genevois et d’une mère vaudoise, elle a épousé un Suédois. Elle réside à Coppet, à quelques lieues de Genève, et Genève, située à la rencontre des grandes routes d’Europe, est le confluent de toutes les nationalités, Coppet est le lieu de rendez-vous de tous les étrangers de marque. Cosmopolite par sa parenté intellectuelle avec nos philosophes du XVIIIe siècle, Mme de Staël l’est encore par son genre de vie, par celui que lui impose Napoléon en la tenant à distance de Paris et la forçant d’aller chercher à l’étranger ce mouvement d’idées, cette société des hommes distingués qui est un besoin pour sa vive intelligence. Le cosmopolitisme est la marque de l’esprit de Mme de Staël, c’est une bonne part de son originalité et c’est par-là qu’elle a rendu un service inappréciable aux lettres françaises, qu’elle a mises en communication avec les littératures du Nord : aussi devait-elle se sentir moins dépaysée que d’autres ne l’eussent été dans la société des hommes d’État et des penseurs de l’étranger. Ce qui est encore à la décharge de Mme de Staël, c’est qu’elle a souffert de son cosmopolitisme et qu’elle en a vivement ressenti la tristesse. Elle erre de la France à l’Allemagne, à la Suède, à la Russie, à l’Angleterre. « Il lui arrive d’écrire : « Tous ces pays délivrés ne sont pas le mien et le mal du pays me prend sur ces vents de nuages. » De quel pays parle-t-elle ? De la France, sans doute ? Au fond elle est