Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/101

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du Sultan Calife, ou la casaque de soie et la longue queue d’un envoyé de l’empereur de Chine. Puis, nouer des relations officielles avec les États d’Orient et d’Extrême-Orient, obtenir, pour le Saint-Siège, le droit de protéger les établissemens catholiques de la Turquie et de la Chine, n’eût-ce pas été rehausser, aux yeux des gouvernemens et des peuples, le pontificat romain ? Il y avait là de quoi séduire la raison ou l’imagination du Pape et de ses conseillers. Si Léon XIII a eu, jusqu’ici, la sagesse de repousser cette tentation, le Vatican, froissé par les incohérences ou par les provocations de notre politique, pourrait bien, une autre fois, y succomber. Du jour où nous cesserions de remplir les devoirs de notre mission historique, le Saint-Siège pourrait nous punir de notre négligence ou de notre mauvais vouloir en s’émancipant, à Constantinople et à Pékin, d’une ingérence française, devenue, pour l’Eglise, une charge ou une gêne sans avantage.

L’intrigue ourdie à cet égard par plusieurs de nos rivaux a-t-elle naguère échoué, nous le devons, pour une bonne part, il n’est pas inutile de le rappeler, à la vigilance de notre ambassade auprès du Saint-Siège, et spécialement à l’habileté d’un grand serviteur du pays, à la fois bon Français et bon catholique, M. Lefebvre de Béhaine, notre représentant, auprès du Vatican, de 1882 à 1896. Sa profonde connaissance des choses ecclésiastiques et sa longue pratique du monde romain l’aidèrent à déjouer les projets de nos adversaires, à l’heure où ils se croyaient déjà certains du succès. C’est grâce à la patiente et tenace obstination de ce diplomate, brutalement rappelé par un ministère radical, que nos intérêts et nos droits traditionnels n’ont pas encore été victimes de l’indifférence ignorante de nos Chambres, ou des préjugés de cabinets improvisés, trop souvent enclins à sacrifier, comme un legs suranné d’un passé évanoui, les intérêts lointains et les prérogatives séculaires de la France. M. Lefebvre de Béhaine et ses successeurs ont, par là, rendu au pays, dans l’ombre silencieuse des galeries vaticanes, un service trop ignoré du grand public, et ils y ont eu d’autant plus de mérite que les hésitations de nos ministres et les provocantes manifestations de notre Parlement leur rendaient souvent la tâche plus ingrate et plus malaisée. Aucune ambassade peut-être n’est plus nécessaire à l’extension de notre influence et au maintien de ce qui nous reste de prestige dans le monde que cette