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la donnent comme marraine à des soldats protestans de la garnison de Brest, convertis au catholicisme. Une juste considération entourait dans Brest les deux familles nourries dans les mêmes traditions de respect passionné envers le roi, d’amour de la France, de tendresse ardente pour la religion catholique.

C’est en 1649 que Louise naquit au manoir de Kéroualle, demeure fort modeste que possédaient ses parens aux environs de Brest et qui subsiste encore. Elle eut un frère et une sœur plus jeunes qu’elle et fut sans doute élevée aux Ursulines de Lesneven. Entre les événemens dont Brest fut le théâtre à cette époque, notons le débarquement d’Henriette de France, qui s’enfuyait d’Angleterre. C’est à Brest que quelques loyalistes organisèrent une flottille dont s’alarma un moment l’attention ombrageuse de Cromwell. Parmi les plus actifs était un certain Richard Browne, qui se lia avec les Kéroualle ; son gendre Evelyn retrouvera plus tard leur fille à la cour de Charles II. De 1666 à 1668, toute la cité fut mise en rumeur par les allées et venues du duc de Beaufort, amiral de France, qui chaque année vint y désarmer sa flotte.

Comment la jeune Bretonne quitta son coin de province pour les splendeurs de Versailles, l’imagination aiguisée des pamphlétaires s’est donné libre carrière pour l’expliquer. Aux amateurs de chronique scandaleuse, l’Histoire secrète de la duchesse de Portsmouth conte abondamment comment les parens de « Francélie, » mécontens de son humeur trop libre, l’envoyèrent chez une tante à Paris ; comment elle s’enfuit à Candie avec le duc de Beaufort et en revint, celui-ci mort, avec un ou deux autres amans. De tout ce fatras, quelques traits ont pu être suggérés par l’aventure authentique de son frère Sébastien de Kéroualle, qui, engagé comme enseigne sur la flotte du duc de Beaufort, le suivit effectivement à Candie et mourut à son retour. Tout le reste n’est qu’extravagance : en fait, en 1669, date visée par le pamphlétaire, Mademoiselle de Kéroualle figurait déjà et pour la première fois sur l’État de la France, « où l’on voit tous les princes, ducs et pairs, maréchaux de France et autres officiers de la couronne ; les évêques, les gouverneurs de provinces, les chevaliers des ordres, les cours souveraines, etc. » Elle y était comme fille demoiselle de Madame, aux appointemens de 150 livres, à côté de Mesdemoiselles Marie