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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/144

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III

C’est en elle-même que Louise de Kéroualle, devenue duchesse de Portsmouth, trouva les ressources nécessaires pour rendre durable l’étonnante fortune dont elle-même, ainsi que nous l’avons montré, avait été en somme l’artisan principal. Ce que nous avons vu de son caractère permet déjà d’apporter quelques retouches aux portraits que nous ont laissés d’elle ses contemporains. Aux Anglais de l’époque, elle apparut comme la personnification de l’influence catholique et française, comme la courtisane éhontée et avide, incapable de poursuivre un autre objet que son intérêt. L’amour aveugle du roi pour elle, elle ne songe qu’à l’exploiter, et qu’à en trafiquer. Sa domination se confond avec l’époque la plus dégradante de l’histoire d’Angleterre. La postérité a, par la bouche des historiens, ratifié le jugement de ses ennemis.

Nous croyons avoir montré que dans la jeune fille qui pendant douze mois se refusa à l’amour de Charles II, il y avait autre chose qu’une intrigante vulgaire. Ce sont ses ennemis eux-mêmes qui ont noté « son jugement solide, sa pénétration, son heureuse mémoire, son adresse, son esprit vif, mais en même temps si doux, si insinuant et si souple. » Tout ceux qui ont suivi quelques-unes des péripéties de sa carrière y ajouteront une énergie peu commune. Que, de ces dons, elle ait usé souvent pour accroître sa fortune et sa situation personnelle, on ne saurait le nier. Mais il n’est que juste, dans l’espèce d’affaissement moral qui se marque graduellement chez elle, de faire la place de son temps et de son milieu.

Pour se maintenir dans la situation périlleuse qu’elle a conquise, c’est une lutte de tous les instans, opiniâtre et sans cesse renouvelée. L’ennemi le plus redoutable peut-être, c’est d’abord l’humeur changeante et légère du monarque, qui, au moment où il paraît le plus épris d’elle, songe — qui sait ? — à la remplacer, et dans tous les cas est à la merci du caprice de chaque jour. Pour le retenir, il ne suffit pas toujours de ces câlineries, de ces mines et de ces caresses dont, au dire de ses ennemis, la duchesse sait si bien jouer. Avant tout, il faut s’ingénier à le divertir, à renouveler chaque jour ses plaisirs, à rendre attrayans les soupers, le jeu et le théâtre. Il faut le suivre à Whitehall, à Windsor