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cupides de son entourage. Les 15 000 livres sterling de rente qu’au dire des gens bien renseignés le roi avait commencé par lui allouer ne lui suffirent pas longtemps. Avec le titre de duchesse de Portsmouth, de nouvelles faveurs lui sont accordées. Dans l’immense palais de Whitehall, qu’habite le roi et où logent plus de quatre mille personnes, son appartement de quarante chambres est un des plus splendides. Il regorge d’objets d’art et d’argenterie. « Sa richesse et sa gloire, » au dire d’Evelyn, dépassent infiniment celles de la reine. Des 400 000 livres que Charles II reçoit de la France en 1673, une partie est partagée entre elle et la duchesse de Cleveland. Les présens que le roi lui fait en bijoux ou en argent sont considérables : jusqu’à 10 000 livres en une seule fois. Quand son fils est fait duc de Richmond, sa gouvernante, la comtesse Marshall, est appointée de 2 000 livres. Le roi lui achète Clarendon House et Wimbledon. Le jeu qu’on joue chez elle est infernal, à l’hombre, à la bassette, au trente-et-quarante. A ses dîners, on entend les artistes les plus renommés, et chez elle les fêtes sont continuelles. Quel était son revenu, c’est ce qu’il est impossible de savoir. Sans doute il variait fort, selon l’état de la bourse et du cœur du roi. Il y a des traces de pensions de toute sorte dont nous ne savons si elles furent simultanées ou successives. Ici, c’est 10 000 livres de rente qu’on lui voit assigner sur les licences des marchands de vin ; ailleurs, 8 600 sur l’« excise ; » ailleurs, d’autres sommes sur les revenus de l’Irlande. Il n’empêche qu’à l’occasion elle se trouve gênée par ses pertes de jeu ou quand un de ses intendans lui vole 12 000 jacobus et qu’elle doit engager ses pierreries. Pour augmenter son revenu, on ne saurait douter qu’elle n’ait trafiqué des bonnes grâces du roi et reçu des présens des particuliers. Un courtier, Timothy Hall, fit argent parfois à son profit des pardons signés en faveur des condamnés riches. En somme, sa pension ordinaire passa rapidement de 12 000 à près de 40 000 livres sterling par an. En 1681, elle en encaissa 136 668. Elle était la plus coûteuse de beaucoup des maîtresses du roi. Du 3 juin au 30 décembre 1676, elle touchait 8 773 livres là où Nelly n’en recevait que 2 862 ; l’année suivante, 27 300 contre 5 250 données à « la maîtresse protestante. »

Afin de consolider sa situation, elle associa sa sœur à sa fortune. Mademoiselle Henriette de Kéroualle débarqua à Londres en mai 1674 avec un petit équipage. « Elle n’a rien de si bien,