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observe Ruvigny, elle est venue seule avec un gentilhomme qui l’était allée prendre à Brest dans un yacht, et, en arrivant, elle a eu une pension de 600 livres sterling. » Avant la fin de l’année, elle épousait le comte de Pembroke, qui n’avait que vingt ans, et plus de 40 000 écus de revenus. Débauché, avare et brutal, il devait d’ailleurs donner plus d’un ennui à sa belle-sœur, et la cassette royale eut à subvenir plus d’une fois aux dépenses de sa femme : elles n’étaient pas médiocres, si nous en jugeons par les notes de toilette que lui présentaient ses fournisseurs en trois mois, et que le hasard nous a conservées.

Madame de Portsmouth ne se contenta pas d’installer sa sœur à Londres ; elle y fit venir également ses parens, le comte et la comtesse de Kéroualle, afin sans doute de montrer qu’elle n’avait pas à rougir de son origine. Ils allèrent loger, non chez leur fille, mais chez sir Richard Browne, beau-père d’Evelyn, leur ami d’ancienne date. Ils firent bonne impression. Le comte de Kéroualle, note Evelyn, « a la tournure militaire et l’air de franchise des Bretons ; sa femme a été très belle et semble d’une vive intelligence. » Ils avaient en outre le mérite, malgré une situation de fortune fort médiocre, de ne point chercher à tirer parti de la faveur de leur fille ; et même, s’il faut regarder comme authentique une lettre que Louis XIV leur aurait adressée, ils ne lui auraient pardonné que sur l’intervention du monarque en personne. D’ailleurs, ils ne prolongèrent pas cette réunion de famille, qui agréait médiocrement à l’ambassadeur de France.

Mais si la nation anglaise en voulait à la duchesse de Portsmouth, ses griefs principaux n’étaient en définitive ni son opulence ni sa famille, c’est avant tout à l’usage qu’elle faisait de sa faveur, à la politique dont elle était la représentante que s’attachait la vindicte publique. Quelle fut cette politique : peut-être peut-on en retrouver le caractère et l’évolution dans l’amoncel-lement disparate des documens où, à travers le tourbillon des intrigues et des passions, les contemporains de la duchesse de Portsmouth ont pourtant dû nous laisser entrevoir quelque chose des mobiles qui la dirigèrent, de l’influence qu’elle exerça, et, tantôt par les voies détournées, ou tantôt plus ouvertement, du but qu’elle poursuivit avec une constante persévérance.


JEAN LEMOINE. — ANDRE LICHTENBERGER.