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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/270

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circonstances, dénonçait la plus importante clause du traité de Paris de 1856, la neutralité de la Mer-Noire. Cette tentative n’était certainement pas inattendue pour l’Allemagne, qui, sans en être au fond satisfaite, désirait trop s’entendre avec la Russie pour lui refuser son assentiment éventuel ; je ne sais trop si les autres Puissances avaient été pressenties ; mais, quant à nous, quels que fussent les soucis d’un autre ordre dont nous étions accablés, nous soupçonnions le Cabinet de Saint-Pétersbourg, si froid à notre égard, de chercher à tirer parti des événemens. Nous fûmes donc plus mécontens que surpris lorsque le chargé d’affaires de Russie, M. Okouneff, nous annonça les intentions catégoriques de son souverain. Le procédé était déplaisant sans doute, mais, comme une nation est toujours fondée à se dégager, à ses risques et périls, d’une Convention qu’elle n’a signée qu’en cédant à la force et avec l’intention de s’y soustraire dès qu’elle le pourra, on ne pouvait méconnaître que la déclaration russe, suite presque inévitable de nos revers, se produisait au moment favorable, puisque les autres Cours se trouvaient, dans la crise actuelle, hors d’état de s’opposer matériellement à la volonté de l’empereur Alexandre.

L’Angleterre et l’Autriche protestèrent, il est vrai, en invoquant la foi des traités. Lord Granville fit même entrevoir la rupture de « l’entente qu’il s’était ardemment efforcé de maintenir avec l’Empire russe. » L’Italie, bien qu’elle eût saisi elle-même l’occasion de nos premières défaites pour violer la Convention du 15 septembre 1864 en occupant Rome, s’exprima en termes non moins sévères. En ce qui nous concerne, nous étions mieux autorisés à parler du droit international ; mais notre détresse nous interdisait de manifester une hostilité inutile. Nous savions bien, d’autre part, que ni l’Angleterre, ni l’Autriche, ne risqueraient une entreprise belliqueuse : la première, parce que toute guerre lui est impossible en Europe sans le concours d’une Puissance continentale ; la seconde, parce que son organisme complexe et les visées de sa politique slave lui faisaient redouter tout différend oriental, surtout depuis Sadowa, et la France étant vaincue. L’Italie ne pouvait que s’abstenir, et si M. de Bismark affectait de montrer quelque mauvaise humeur, ses relations avec la Russie étaient telles que son attitude calculée et probablement convenue avec elle ne pouvait tromper personne. M. de Chaudordy se borna donc à réserver dans ses entretiens