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adulations, c’est à ce moment-là qu’elle court le plus grand péril, dans la tourmente inattendue, mais très compréhensible qui bouleverse l’Angleterre mécontente de son roi, exaspérée du triomphe de la politique française, toute préparée à tourner contre les catholiques les fureurs qu’elle n’a pu satisfaire par la guerre.

Sans qu’il y eût aucun plan précis formé pour le rétablissement du catholicisme, il était visible qu’un grand nombre des adeptes de la religion romaine nourrissaient en sa faveur les espérances les plus contraires au sentiment national. « Nous avons une grande œuvre à accomplir, écrivait Coleman, secrétaire de la duchesse d’York, rien moins que la conversion des trois royaumes, et par là nous pourrons vaincre peut-être complètement l’hérésie pestilentielle qui a si longtemps dominé dans une grande partie du Nord. » La haine publique était en éveil, guettait les intrigues nouées avec la France, ne demandait qu’à faire explosion. Contre les catholiques on pouvait tout faire croire au peuple, qui quelques années plus tôt tenait Marie de Modène pour la fille aînée du Pape, et apprenait avec terreur le mariage du dauphin de France avec la fille du Grand Turc. Aussi rien n’allait le trouver incrédule dans les dénonciations d’un des plus misérables imposteurs dont l’histoire ait gardé le souvenir : Titus Oates, ancien pasteur baptiste, qui après avoir cherché à exploiter une feinte conversion au catholicisme, imagina avec un succès plus fructueux de dénoncer à l’Angleterre un complot papiste qui aurait eu pour but le meurtre du roi et la restauration de l’idolâtrie abhorrée. Un dangereux intrigant, Shaftesbury, ministre disgracié de Charles II, ambitieux capable de tout pour ressaisir le pouvoir, mit ses soins particuliers à faire accepter l’idée d’un complot à la crédulité publique. La rage et la terreur du peuple anglais ne connurent plus de bornes quand la découverte des lettres de Goleman au Père La Chaise, confesseur de Louis XIV, et l’assassinat de sir Edmundsbury Godfrey, le magistrat devant lequel Gates avait fait sa déposition, donnèrent une apparence moins fantastique aux divagations du misérable. Cinq lords catholiques furent enfermés à la Tour ; deux mille personnes arrêtées. Les milices s’armèrent. Un bill exclut les catholiques des deux Chambres. Un nouvel imposteur, Bedloe, rivalisait avec Gates d’imputations monstrueuses. Coleman porta sa tête sur l’échafaud.