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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/407

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Tout était simple sans simplification, clair et pénétrant sans apprêt-. Les passions se développaient avec lenteur, avec l’illogisme qui leur est propre, tantôt arrêtées pendant des mois, et tantôt, d’un saut, portées en une heure de crise aux décisions violentes. Sous la vérité extérieure et locale du costume et des mœurs, on touchait la vérité largement, profondément, immuablement humaine. L’exotisme ici, comme il est juste, n’était que le vêtement de la vérité morale.

Par là se répandait d’ans le récit une poignante beauté. S’il révélait les sauvages et bizarres harmonies du pays et de la race, des sites et des mœurs, plus au fond il suggérait sans cesse le sentiment douloureux et grandiose de l’opposition qui sépare l’homme de la terre, et la vie des choses du destin des âmes. Les oiseaux des bois et des bruyères, les troupeaux assemblés dans les tancas[1], accommodent leur existence obscure au rythme fixe des temps. Mais c’est en vain que l’homme, enveloppé du frisson confus de l’éternelle vie, mesure aussi ses travaux sur l’ordre des mois. C’est en vain que sa timide activité, asservie aux volontés du sol, se contente de l’aider, avec une sorte de respect, à éprouver ces grandes passions régulières que sont pour lui les saisons. C’est en vain que par la simplicité de ses mœurs il reste de tout près uni à la terre. Son destin le soustrait à la placidité des champs. Banale remarque, sans doute ; vérité par trop évidente, — saisissante pourtant quand un Pascal la formule, ou lorsque, comme chez Grazia Deledda, elle s’insinue lentement et s’impose par le détail de l’analyse et des descriptions : Monde dans un monde, l’homme vit sa vie propre, sa vie de soucis, de doutes et d’angoisses, de joies péniblement conquises, de douleurs longuement méditées. Tapies dans les sinuosités des plateaux ou au creux des vallées, isolées au flanc des coteaux et dans les vastes plaines, ou amassées en cités étroites au bord des rivières et dans les anfractuosités de la côte, écrasées par la robuste ossature de l’île, perdues dans le règne du soleil et dans le .désert silencieux des nuits, les petites maisons rustiques de terre séchée, de bois ou de silex, contiennent un univers, un univers de bonheurs intimes ou de souffrances cachées, de vertus et de vices, d’héroïsmes ou de vengeances...

C’est cette confrontation perpétuelle de l’homme et de la

  1. Vastes pâturages clos