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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/409

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Elle est née à Nuoro, chef-lieu d’arrondissement de la province de Sassari. La petite ville, qui compte sept ou huit mille habitans, est située à six cents mètres au-dessus du niveau de la mer, au bord de deux vallées, l’une cultivée, l’autre sauvage. Les rues, sauf la principale, sont étroites, bordées de maisonnettes peintes en blanc, en rose, en bleu, et de simples chaumières noirâtres, plus nombreuses, bâties de pierre et de boue. Le père de Grazia, homme intelligent et énergique, avait fait ses études à Cagliari, au sud de l’ile, où le menait un voyage de trois jours à cheval. Après avoir exercé pendant quelque temps les fonctions de procuratore, sorte d’avocat ou d’avoué, il se fit négociant, à la mode sarde, unissant à l’agriculture le commerce des produits du pays, charbon de bois, écorces, cendres, huile, etc. Levé de bonne heure, il mettait à jour sa correspondance, recevait ses ouvriers, parfois travaillait la terre lui-même, pour se ragaillardir. Aux heures de repos, assis au frais en été, l’hiver près de la grande cheminée, il lisait. Il était poète, composait des vers dialectaux et improvisait ; et, non moins que son commerce, ses talens poétiques l’avaient fait connaître de tout le district de Nuoro. Il allait souvent, dans les villages, tenir sur les fonts baptismaux les enfans de ses amis ou de ses ouvriers. La ténacité de son labeur, son esprit d’initiative et d’organisation, lui acquirent rapidement une agréable aisance. On lui empruntait de l’argent, on ne le lui rendait pas, sa fortune n’en allait pas plus mal, et la bonne réputation que lui avaient faite ses mœurs simples et sévères, croissait par ces générosités.

Vers quarante ans, quand il se trouva assuré d’un avenir facile, il se maria. Deux de ses amis et lui, qui étaient alors les hommes les plus à leur aise et les plus en vue du pays, décidèrent de prendre pour femmes, non pas les filles les mieux dotées de Nuoro, non pas les héritières des plus nobles familles, mais les plus belles et les plus modestes d’entre les paysannes. Celle que choisit Deledda, — et qui avait vingt ans de moins que lui, — n’était ni riche, ni savante ; mais elle était renommée pour son adresse aux ouvrages de femmes, et l’on admirait l’art ingénieux de ses broderies. Le couple fut heureux, et, toujours d’accord, mena la bonne vie patriarcale, unie et aisée, que Grazia a décrite dans Anime oneste. Sa mère garda et garde encore le costume du pays : le corsage à bretelles ouvert sur la chemise plissée dont il laisse voir les manches, la jupe courte,