Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/422

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exceptionnel, qui rend Grazia Deledda singulièrement intéressante, et son génie savoureux et copieux à l’égal des plus grands.

Pour la comprendre, il faut se rappeler et son sexe et sa race. Elle est femme, d’une, sensibilité exigeante qui, n’étant pas accaparée et blasée par les émotions d’une vie sans événemens, s’est portée, en rêves, puis en méditations subtiles, sur les saines voluptés de la nature dont elle a longuement joui. Elle est d’une race intelligente, et demeurée pourtant à l’écart, effleurée seulement par plusieurs civilisations, noble et fière, un peu barbare, que son hérédité latine, son éducation catholique, son habitude de l’existence villageoise avec ce qu’elle comporte de voisinages étroits et défians, de curiosités cancanières, de transactions âpres, ont rendue apte à soupçonner et démêler les pensées du prochain, — mais chez qui l’intuition psychologique, pour peu qu’elle ne se réduise pas à une obscure et instinctive appréhension, qu’elle se double de conscience réfléchie et cherche à s’exprimer au dehors, prend presque nécessairement la forme dramatique : car chez un peuplé naïf, comme chez un enfant, l’idée tend à l’acte, le récit tourne à la pantomime, l’explication psychologique se change en représentation dramatique. La psychologie de Grazia Deledda est donc animée et vivante naturellement, du fait même de son origine. Ses dispositions rêveuses, sa sympathie féminine pour les souffrances sentimentales, sa culture personnelle, l’ont rendue capable en outre de cette psychologie analytique, — non plus expressive, mais inventive, — qui sonde au delà de ce que manifestent les paroles et les actes, qui découvre le domaine propre de l’âme, discerne et établit entre ses démonstrations extérieures le lien intérieur et continu.

Combien cette pénétration psychologique ajoute d’intérêt au récit en introduisant le lecteur dans l’âme même des personnages, — leur âme primitive et souvent étrange, et cependant si semblable à la nôtre, — c’est ce que, beaucoup mieux que dans ses nouvelles, on sent dans les romans de notre auteur. Ils présentent en outre cet attrait, qu’épanchés plus à l’aise, plus intimement unis, se compénétrant et se renforçant les uns les autres, les dons de l’écrivain y imposent au lecteur une impression plus complexe, plus organique, et que, pour cette raison même, et parce qu’il en fut ainsi dès le début, la suite de ces sept romans peut servir à esquisser l’histoire du rapide développement littéraire de Grazia Deledda,