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IV

Bien que ses œuvres ne soient pas le miroir de sa vie, et qu’il ne faille pas chercher dans ses romans des confessions, c’est un des caractères significatifs de son talent, et la meilleure garantie de son réalisme, qu’elle ait pris d’abord ses héros tout auprès de soi, et que son imagination ne se soit émancipée qu’à mesure que s’enrichissait son expérience. Elle a débuté dans le roman par un de ces tableaux de famille qui tiennent dans son œuvre une si grande et si heureuse place : Anime oneste, Ames honnêtes, ou Braves Gens. Comme l’a bien dit Ruggero Bonghi, — qui fut à peu près le Jules Simon de l’Italie, — dans la préface qu’il mit à ce volume, les nombreux personnages « n’ont ni grands enthousiasmes, ni grands désespoirs ; ils ne trouvent ni ne cherchent de fosses où tomber. » Mais on les sent réels. On voit où ils sont, et ce qu’ils font. Presque jour par jour se déploie devant le lecteur l’existence de Paolo Velena, de sa femme, de leurs sept enfans, et de la nièce orpheline qu’ils ont recueillie. L’auteur, en qui la jeune fille se laisse encore deviner à sa complaisance pour les songes et les souffrances vagues des jeunes âmes féminines, avait été frappée du charme, de la fertilité d’émotion de la vie de famille, où les effets des moindres événemens sont diversifiés et prolongés à l’infini par les humeurs de chacun des membres et par leurs rapports mutuels. Elle avait donc eu l’idée d’écrire, sans presque rien y changer, ce qu’elle avait vu autour d’elle, de mettre en roman — sans y introduire d’intrigue romanesque — son expérience d’une vingtaine d’années. Et c’est vraiment une idée charmante et touchante, qui ne dénonce pas seulement une candeur virginale, mais un instinct de grand écrivain, que celle de cette jeune fille si pressée d’écrire, si exempte de prétention et si franche d’influence livresque, que, ne connaissant rien du monde, elle raconte, non pas des aventures imaginaires et des rêveries fantastiques, non pas même le roman incolore de son cœur, mais la vie de tout son entourage ordinaire : premier signe, exquis et naïf, de ce détachement de soi, de cette audace innée d’entreprise, de cette large sympathie, qui sont les dons indispensables de l’artiste, et surtout de l’artiste littéraire.

Parfois languissant, comme on le pense, le livre est au moins