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et de leurs communs soucis. Cette nuit de janvier, limpide et froide, où l’éclat métallique de la lune inonde la cour, et où souffle une bise aiguë, fine comme une piqûre d’aiguille ; cette nuit où, après un silence anxieux, les jeunes gens se parlent, et où Pietro prend de force le premier baiser, ne l’avons-nous pas vécue, tant tout y est vrai d’une vérité totale, enveloppante et pénétrante, tout, le décor, les actes, les paroles, les pensées, les battemens de cœur, les frissons et les impulsions de la chair ? Et lorsque Pietro, accusé d’un vol de bestiaux, sort de prison le jour du mariage qu’il avait juré d’empêcher, quel supplice. — dont le lecteur sent la morsure, — quand il entre dans la chambre du festin où, selon la coutume sarde, Maria et son mari, au bout de la table, mangent dans la même assiette ! Les incidens comiques ou seulement vulgaires du repas deviennent une torture, et rien sans doute ne nous donne mieux une idée de l’art sobre et puissant de l’écrivain ; mais rien aussi n’est plus propre à contrarier les velléités morales que suppose le titre de son livre. Car un homme qui a supporté ces souffrances est mûr pour le crime, et, s’il le commet, ce n’est plus lui qu’il faut accuser, mais le destin. Telle est d’ailleurs, au fond, l’unique morale du roman : le sort des hommes est à plaindre ; l’amour, qui les sollicite par la joie, les entraîne à la douleur et au crime, et qui veut les juger, quand il sait leur vie, ne trouve en soi que de la pitié.

Le conflit des élans de l’amour et des devoirs de famille, ou tout au moins des conventions de la famille sarde, apparaît davantage dans le volume suivant. Il Tesoro ; et là encore, si l’auteur ne décide point, son lecteur décide pour lui. C’est le récit de deux romans d’amour parallèles, reliés entre eux par une vague histoire de trésor, et dont l’un se déroule chez des paysans, l’autre chez des bourgeois. L’opposition, quoique ingénieuse, fatigue l’attention, et l’unité est trop visiblement factice. Mais il y a un charme également douloureux et très différent dans chacune des deux aventures, — celle du paysan propriétaire qui, habitant chez son oncle depuis son veuvage, séduit la servante, et, surpris par sa cousine, chassé par l’oncle, retourne humilié dans sa maison déserte, pour y vivre de longs mois dans un concubinage triste et méprisé, — et l’aventure moins violente, mais non moins tragique, tout intérieure pour ainsi dire, dont meurt Elena Bancu, et dont quelques lettres d’amour sont les seuls